Guy Verhofsradt, Président du Groupe “Alliance des démocrates et des libéraux pour l’Europe” au Parlement Européen et ancien Premier Ministre de la Belgique, a visité récemment Athènes afin de présenter son livre “Debout l’Europe”, un manifeste politique pour l’évolution fédéraliste de l’Union Européenne. A cette occasion, il a répondu aux questions du GrèceHebdo.
- Pourquoi l’idéal fédéral européen n’a pas pu trouver un écho favorable parmi les peuples européens ?
L’idéal fédéral européen n’a jamais été au centre du débat public européen. Même au moment où l’appétence pour davantage d’intégration européenne a été à son apogée au début des années 2000 lors des débats au sein de la Convention européenne chargée de rédiger la Constitution européenne, le mot fédéral n’a pas été retenu. Et cette idée est devenue taboue après l’échec du référendum français et néerlandais. J’ai personnellement l’intention de relancer ce concept aux élections de 2014. C’est tout l’objet de mon livre “Debout l’Europe!” que de prôner le fédéralisme européen comme réponse à la crise politique qui traverse l’Europe et ses Etats membres. Bâtir l’Europe fédérale est selon moi la seule manière de redonner espoir aux Européens.
- La construction d’un Etat fédéral européen susciterait la fin des nations et de l’identité nationale ?
Je crois bien au contraire qu’une construction fédérale, naturellement adaptée à l’histoire européenne, redonnera de la souveraineté aux peuples d’Europe. C’est pourquoi je parle d’espoir. Car au delà des difficultés économiques et sociales dont souffrent les populations européennes, c’est avant tout d’un sentiment d’abandon face à la mondialisation qui les accable. Tous sentent bien que le système politique européen actuel, qui est intergouvernemental et non fédéral, est impotent, ne garantissant pas la souveraineté de l’Europe tout en engluant les Etats dans une série de législations secondaires ressenties comme attentatoires aux traditions nationales. La crise européenne reflète avant tout la crise politique qui traverse chacun des Etats membres de l’UE. Leurs structures politiques sont devenues obsolètes pour affronter les grands défis communs mais les classes dirigeantes nationales s’y cramponnent et paralysent ainsi l’action politique. Cependant, les citoyens sentent bien que, du coup, il n’y a personne aux commandes quand par exemple l’euro est attaqué. Personne à Bruxelles, car les grandes décisions économiques et budgétaires demeurent nationales, mais personne non plus dans les capitales car les gouvernements ne peuvent en fait prendre aucune décision autonome dans ce domaine puisque la monnaie est commune. Cette schizophrénie institutionnelle affaiblit la confiance dans la politique nationale tout en menaçant l’existence même du projet européen. La Grèce est le plus manifeste exemple de cette dérive mortelle. La responsabilité historique des dirigeants grecs dans le désastre économique est indéniable. Mais le peuple grec n’avait aucune raison de se sentir soudainement responsable de la dégradation de la situation: cela faisait des années que Bruxelles et Berlin toléraient en toute connaissance de cause ces petits arrangements comptables entre amis. D’où la révolte bien compréhensible face à ce qui s’est apparenté à une mise sous tutelle par l’étranger. Mais inversement, de quel droit la Grèce pouvait-elle prétendre à une solidarité inconditionnelle? En France, si une commune est au bord de la banqueroute, sa gestion est placée sous tutelle du Préfet. Ce dernier tient sa légitimité du gouvernement, émanation de l’Assemblée nationale, et autorité démocratique supérieure à celle du maire et du conseil municipal. Rien de tel au plan européen où la légitimité de la fameuse Troïka est trop diffuse pour être ressentie comme valide par les peuples. C’est cette légitimité démocratique européenne qu’il faut inventer et l’élection européenne de 2014 sera l’occasion d’en poser les termes et les perspectives. A ce stade, je me bornerais à constater que dans un système intergouvernemental, tous les pays sont égaux mais certains sont plus égaux que d’autres alors que dans un système fédéral, les clivages politiques transcendent les clivages nationaux.
- Vous partagez l’estimation que la Grèce est sur le point de sortir de sa crise ?
Quand on a un chômage de 27% de la population active et jusqu’à 60% chez les jeunes, et une dette publique qui avoisine toujours les 175%, on n’est pas proche d’une sortie de crise. Ce qui est certain en revanche, c’est qu’il y a certaines réformes en cours. Mais les partis politiques au pouvoir, avec la coupable complaisance de la troïka, ne s’attaquent pas aux vraies sources du mal grec, le système clientéliste qui leur permet d’entretenir des électeurs … Il y a encore beaucoup à faire pour réformer le secteur public qui demeure disproportionné, pour dérèglementer certaines professions fermés, pour ouvrir les marchés. Les grands partis tentent de préserver leur position en prenant les décisions les plus faciles, comme de s’attaquer aux bas salaires ou augmenter les impôts, ce qui permet de rencontrer les prescriptions du FMI, mais qui n’aide pas fondamentalement le pays à en sortir.
Entretien accordé à Costas Mavroïdis