La Fondation Hellénique, située à la capitale française depuis 1932, fait partie de la Cité internationale universitaire de Paris qui est née au lendemain de la Première Guerre mondiale. Les fondateurs de la Cité et notamment le ministre français de l’Instruction publique André Honnorat et le recteur de l’Université de Paris Paul Appell, défenseurs du pacifisme, ont souhaité créer une Résidence permettant aux étudiants français et internationaux de profiter de logements et de conditions d’études de qualité, mettant ainsi l’éducation des jeunes et les échanges entre pays au service de la paix.
Entre 1925 et 1938 malgré la crise économique, gouvernements étrangers, mécènes et écoles se sont associés à l’œuvre de la Cité en finançant l’édification d’une maison pour faire vivre ensemble des étudiants du monde entier. La Grèce se trouve parmi les premiers pays à construire une maison au sein de la Cité universitaire, en 1932.
En moins de 15 ans, 19 maisons sont ainsi construites par les plus grands architectes dans des styles révélateurs de l’éclectisme architectural de l’entre-deux-guerres et de la politique de métissage conduite à la Cité internationale. La capitale française était déjà la capitale culturelle de l’Europe, un point de référence pour la vie artistique de toute l’Europe, un terrain des échanges culturels, un carrefour des confluences idéologiques, pédagogiques et artistiques. (Flitouris, 2015)
Le financement de la construction
La Grèce a exprimé son intérêt pour la construction d’une maison de la Grèce à la Cité dès septembre 1923. Trois ans plus tard, en 1926, André Honnorat, alors président de la Cité universitaire, fait part au diplomate et juriste Nicolas Politis, alors ambassadeur de Grèce en France, de son souhait de voir la Grèce participer au développement de la Cité universitaire affectant à la maison de la Grèce un terrain de 1200 m2 environ. Cependant, la question du financement de la construction du bâtiment est en effet loin d’être réglée.
La situation de l’Etat grec, ruiné par 10 ans de guerre et confronté à l’accueil de près d’un million et demi de réfugiés de l’Asie mineure, n’est pas favorable à ce type de dépense. Faute de « grands mécènes », Politis décide de s’adresser « aux Grecs de toutes les parties du monde » et de lancer une souscription panhellénique, avec l’appui d’une vaste campagne de presse. Le comité des souscripteurs, présidé par Politis lui-même, réunit des personnalités du monde des lettres et des milieux politique et commercial du pays mais aussi de la diaspora grecque d’Egypte et de France. Des associations francophiles, telles que la Ligue franco-hellénique s’étaient également activement engagées en faveur de ce projet. Pourtant, les donateurs ne provenaient pas que des seuls milieux sociaux aisés. Des ouvriers et des étudiants avaient également mis leurs maigres économies au service de cette cause nationale. L’idée de la création d’une résidence étudiante hellénique à Paris avait suscité un engouement général.
Les plans de la fondation sont dressés par Nicolas Zachos, architecte de la Légation de Grèce à Paris, formé en France, à la fois au sens strict, celui des études d’architecture, mais aussi au sens de la formation de la personnalité, du goût esthétique, de la sensibilité artistique.
La cérémonie de la pose de la première pierre s’est déroulée le 14 janvier 1931 et l’inauguration de la Fondation a eu lieu le 23 décembre 1932 en présence de l’ambassadeur Nicolas Politis, du président de la République Albert Lebrun et du ministre de l’éducation nationale, Anatole de Monzie. Un jeune historien ayant récemment acquis le titre de docteur de l’Université de Paris, Dionisios Zakynthinos, a été nommé à la direction de l’établissement. La fondation reçoit ses premiers étudiants au tout début d’octobre 1932. Dès la première année, de nombreuses activités sont organisées pour créer des liens entre les étudiants de différentes nationalités (cours de langues étrangères, conférences, excursions, bals, soirées artistiques etc.).
La Fondation Hellénique a affiché dès son ouverture l’ambition de satisfaire à un certain rayonnement culturel de la Grèce. Il s’agissait en effet de se doter d’un pavillon qui fût le reflet de ce berceau de culture. La volonté était de promouvoir l’« hellénisme vivant » par ses valeurs philosophiques et sa langue qui porte en elle « l’âme hellénique ». Il s’agit aussi d’un lieu de rencontre entre l’Université de Paris et la Grèce vivante, réunion de la « Cité antique » et de la « Cité nouvelle ». C’est ainsi que de nombreuses activités culturelles et récréatives ont été organisées dès les débuts pour les étudiants. La Fondation s’est en effet efforcée de « créer autour d’eux un mouvement intellectuel, de leur donner l’occasion de développer leurs talents dans une collaboration étroite avec leurs camarades », ceci afin d’encourager des liens durables entre les jeunesses de divers pays.
L’architecture
La Fondation hellénique rend hommage à l’architecture de la Grèce antique et à l’architecture néoclassique tout en employant des techniques de construction moderne. Derrière ses apparences classiques, la Fondation hellénique masque une ossature en béton armé, qui n’est pas sans rappeler le principe du Modulor de Le Corbusier, et revêtue de pierre de taille. Sur le plan fonctionnel et du point de vue de la construction, l’œuvre de Zachos est tout à fait moderne.
Le bâtiment présente la forme d’un parallélépipède. Sa conception et les détails de son architecture intérieure et extérieure font de nombreuses références à la Grèce antique. Les dimensions de la Fondation (19 x 50 mètres) sont ainsi équivalentes à celles du temple d’Héra à Olympie. La façade de l’entrée principale, aménagée en pignon, dispose d’un porche monumental à colonnade ionique qui reproduit le portique nord de l’Erechteion.
Les frises et les autres éléments de décoration, à la fois extérieurs et intérieurs, prennent leurs distances avec le néoclassicisme du 19e siècle. Les bacs à fleurs qui ornementent le perron, ainsi que les frises décoratives des façades sont clairement d’inspiration Art Déco.
Enfin, sur les murs du salon, les paysages grecs, ruraux ou maritimes, sont illustrés par des photographies de Frédéric Boissonnas, issues de la collection réalisée à partir de 1903. Au-delà de leur dimension esthétique et de leur valeur décorative, les photographies de Boissonnas font partie intégrante de l’histoire de la Grèce contemporaine.
La Seconde Guerre mondiale et le fameux navire Mataroa
La fondation ferme ses portes en septembre 1939, comme toutes les autres maisons de la Cité. A partir de cette date qui marque le début de l’occupation allemande, la Fondation hellénique abrite en permanence des troupes de passage. Evacuée en août 1944, la fondation est réquisitionnée par l’armée américaine pendant une année environ.
La Fondation a accueilli un grand nombre d’artistes, d’intellectuels et de scientifiques grecs qui ont quitté la Grece quelques mois avant l’éclat de la guerre civile grecque (1946-1949) en décembre 1945 avec l’aide d’Octave Merlier, Directeur de l’Institut français d’Athènes, et son collaborateur, le Secrétaire général Roger Milliex. Les deux philhellènes ont conçu le projet de sauver des jeunes intellectuels grecs en leur accordant des bourses afin d’étudier à Paris. 124 étudiants grecs ont fait ce voyage difficile et dangereux en direction de l’Italie et à destination de Paris avec le mythique navire militaire Mataroa affrété par l’Institut français d’Athènes. En raison des conditions difficiles qui régnaient en Europe dans les premières années de l’après-guerre, ce transfert collectif s’est fait dans des circonstances particulièrement éprouvantes tenant compte du fait que la Méditerrané à l’époque était truffée de mines.
Parmi les passagers grecs de ce bateau légendaire, résidents ensuite de la Fondation mais aussi dans d’autres maisons de la Cité, on peut distinguer les penseurs Cornelius Castoriadis, Kostas Axelos et Kostas Papaioannou, les sculpteurs Mémos Makris, Kostas Coulentianos, Kostas Valsamis et Bella Raftopoulou, les peintres Dico Vizantios, Eleni Stathopoulou et Anna Kinduni; la peintre et écrivaine Nelly Andrikopoulou, les poètes Matsi Hatzilazarou et Andreas Cambas, les auteurs Elli Alexiou, Mimika Kranaki et Andreas Kedros, les médecins Eleni Thomopoulou, Evangelos Brikas et Andreas Glinos, Dimitris et Ioannis Marinopoulos, qui deviendront par la suite de célèbres entrepreneurs; les architectes Aristomenis Provelengios, Nikos Chatzimichalis, Takis Zenetos et Panos Tzelepis, l’architecte-urbanitste Georges Candilis, le cinéaste Manos Zacharias, le chef d’orchestre Dimitris Chorafas, l’historien Nikos Svoronos et l’académicien Emmanuel Kriaras.
Les années suivantes la Fondation accueillera d’autres Grecs renommés dans les domaines des Arts, des Sciences et des Lettres tels que le peintre Panagiotis Tetsis, les cinéastes Théo Angelopoulos, Costa Gavras et Roviros Manthoulis, l’écrivaine Alki Zei, le professeur de sciences économiques Kostas Vergopoulos etc.
La dictature en Grèce et les événements de Mai 68
Paris est une ville vivante, un vrai laboratoire d’idées, de mouvements artistiques, philosophiques et scientifiques qui continue d’attirer des jeunes étudiants grecs dans les années 1950 et 1960. Au moment du coup d’État du 21 avril 1967 en Grèce environ huit cents étudiants grecs sont être inscrits dans des établissements universitaires en France.
L’association historique EPES (Association des étudiants hellènes à Paris) est le moteur essentiel de la coordination d’actions dirigées contre la junte, comme la collecte de fonds et l’organisation de marches de protestation ou de soutien. Dans ce climat, les étudiants grecs à Paris cherchent à développer des formes de résistance active contre la dictature, le centre d’opérations des étudiants membres de l’EPES se trouvant à la Fondation Hellénique. Le directeur de la Fondation Constantin Georgoulis (1963-2004), Grec d’Égypte, soutient certains des locataires de la Fondation considérés comme des ennemis au régime, alors placée sous le contrôle direct de la junte d’Athènes (Kornetis, 2018)
Au cours des événements de Mai 68, des membres de la Fondation Hellénique avec d’autres étudiants grecs participent au mouvement d’occupations. Le 22 mai 1968, cent vingt étudiants grecs occupent la Fondation Hellénique dans un acte de résistance contre les colonels mais aussi comme une façon de participer activement au mouvement français de Mai qui « luttait pour une nouvelle société d’égalité, de liberté et d’humanité ». L’occupation a pris fin au bout de presque six semaines durant lesquelles la maison hellénique a été proclamée « premiers mètres carrés du sol grec libre ».
La restauration du bâtiment
La question de la restauration du bâtiment a été posée dès le début des années 1960 mais ce n’est qu’en 1975 que les travaux ont commencé. Le projet de restauration, à cette époque-là, vise à améliorer les conditions et les conforts de logement sans pour autant considérer l’architecture et la décoration de la Fondation comme un « patrimoine » à sauvegarder. Dans le salon par exemple les colonnes et pilastres ont été supprimés, les moulures et les corniches des murs ont été enlevées, les frises peintes ont été déposées. Le mobilier a également été remplacé. Il convient toutefois de replacer la restauration dans son époque, les années 1970, ainsi que dans le contexte politique du renouveau démocratique du pays après la fin de la junte des militaires (Barbas, 2015).
Plusieurs projets ont été réalisés depuis 2007 intégrant l’aspect de la patrimonialisation visant à retrouver la logique architecturale et décorative de l’édifice et notamment : la restauration des façades extérieures qui a permis de retrouver les décors d’origine, les frises décorées et le phénix de la façade principale ; la restauration, pour ne pas dire la reconstitution totale du décor du salon de la Fondation ; la restauration-reconstitution de la bibliothèque. Dans un contexte de difficulté de financement de ces projets par des fonds publics, les campagnes de restauration ont été menées grâce aux financements de fondations d’utilité publique, et en particulier des fondations Stavros Niarchos et Léventis.
Comme le souligne Maria Gravari-Barbas, directrice de la Fondation hellénique depuis 2004 et professeur de géographie à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, « parallèlement à la patrimonialisation de ses aspects matériels la Fondation est également désormais envisagée comme le haut lieu d’un patrimoine immatériel cristallisant des pans entiers de l’histoire gréco-française. Un patrimoine vivant, évolutif et adapté aux besoins des étudiants du xxie siècle dans le cadre d’un des plus beaux lieux dédiés à la vie universitaire, la Cité internationale universitaire de Paris ».
*Photo d’ introduction : Vue d’ensemble, prise du nord-ouest. S.d. [Vers 1935]. Photographie. Fréon, Louis (photographe). CIUP, centre de valorisation du patrimoine, P/TP-B21-0675, https://inventaire.iledefrance.fr/
SOURCES PRINCIPALES DU TEXTE
La Fondation hellénique de la Cité internationale universitaire de Paris : lieu de mémoire de la Grèce en France, Maria Gravari-Barbas – Open edition, p. 313-325
La Fondation Hellénique de la Cité Internationale de Paris: Lieu de vie, lieu de mémoire, Maria Gravari-Barbas, Dimitri Bacharas, Hélène Fessas-Emmanouil, Nikolas Manitakis, Eleftheria Fili, Konstantinos Kornetis, Yannis Tsiomis, Lampros Flitouris – Ouvrage publié par les Editions Kallimages (2015)
Comment les années 1968 ont traversé la Fondation Hellénique, Kostis Kornetis, Matériaux pour l’histoire de notre temps (2018/1 N° 127-128)
Service de l’Inventaire général du Patrimoine Culturel de la Région Île-de-France – Résidence d’étudiants dite Fondation hellénique https://inventaire.iledefrance.fr/
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