GrèceHebdo a rencontré Sotiris Selavis qui dirige les éditions de Perispomeni. Jeune éditeur et à la fois poète, il nous a parlé de l’expérience d’être éditeur de poésie de qualité dans la Grèce de la crise.
Etre jeune éditeur dans la Grèce de la crise signifie quoi?
C’est le vécu de l’incertitude, le manque des ressources, la difficulté d’encaisser ce qui est dû par les libraires et tout cela doublé d’un malaise social généralisé. La crise pourtant a aussi son côté avantageux: un bon nombre de situations problématiques du passé ne peut plus se pérenniser alors que le choix de titres à publier subit un contrôle plus minutieux. Et puis les périodes de crise sont à la fois des périodes fructueuses. Εn témoigne l’angoisse de la création ou si vous voulez l’angoisse créatrice, fruits de la réfection et du désir de communiquer avec les autres. Οn peut parler sans risque d’une nouvelle dynamique propice à l’expression spirituelle et artistique. Quant à Perispomeni, celle-ci est né en 2011 au cœur de la crise. On est resté donc loin de l’euphorie des périodes précédentes ayant comme support principal la patience et la soutenance voire la fidélité de nos amis. Οn ne se plaigne pas. Dans un monde prêt à écrouler, notre seule défense consiste à faire face à des défis encore plus considérables.
Selon quels critères vous faites la sélection de vos titres? Quelle place occupe dans vos choix la production française?
Il appartient à une maison d’édition-comme d’ ailleurs à une revue littéraire-de faire apparaître des «voix» diverses voire disparates capables d’additionner leurs forces et ce faisant de produire une collectivité. Celle dernière est à l’ origine de la diffusion de ce qu’on appelle esprit. Nous restons fidèles à la conviction selon laquelle le monde constitue un mystère, un “mysterium tremendum’’ et ce mystère est à la fois la beauté et l’angoisse du monde. Τοut se situe dans ce mystère et la littérature et l’art en général sont appelés à «tirer de petits morceaux de lumière issus d’un noir profond» (Κeats). Il incombe à la poésie de faire sa propre musique avec le côté invisible des choses. Εn résulte un récit intensif, quasi sacré qu’on peut trouver chez le chevalier de la démission incessante Søren Kierkegaard en passant par le Dottor Serafico de l’ entre deux guerres Rainer Maria Rilke. Dans la même tradition s’inscrit bien évidemment le multiprimé Yves Bonnefoy dont certains de ses derniers poèmes ont vu le jour par Perispomeni l’année dernière. C’est le tour de Paul Valéry avec son fameux «Le cimetière marin» de nouveau traduit en grec. Il s’agit d’un poème élégiaque ayant comme thème la mort mais derrière c’est la vie qui éclate avec une force inouïe. (Α noter que Valéry et Rilke ont été liés d’une amitié et d’un respect profond). Enfin force est de constater que le critère décisif de nos choix demeure le pari des œuvres avec le temps. Οn parle donc des œuvres classiques.
Et une question adressée au poète Sotiris Selavis. En lisant le livre de Kostas Koutsourelis «Lettre à Odysseas Elytis», paru chez Perispomeni, ce qui dure, ce qui subsiste le plus, c’est quoi ? La beauté où la laideur? L’extase devant le monde ou la répugnance?
L’art dans ses moments les plus somptueux arrive à épargner le monde de la laideur ou de la dégradation en le transformant en beauté (le mot grec «kallos» pour désigner la beauté, mais aussi le mot «apo(théo)sis» dans lequel Dieu (Théos) y est présent). La rencontre avec le Beau c’est la raison d’une perturbation profonde, c’est le principe rilkéen du Terrible (des Schrecklichen Anfang) dans la mesure où notre passage vers la réalité supérieure du monde est terrible. Le Beau c’est le pont, mais le passage à travers ce pont est un apprentissage long voire pénible. C’est pour cette raison que face au Beau nous souffrons, seuls et en extase.
Interview accordée à Costas Mavroidis