Photo © Nikos Palaiologos/momusalexmylona
La Grèce commémore cette année les 50 ans de la chute de la dictature et de la restauration de la démocratie en 1974. À l’occasion de cet anniversaire, l’Organisation métropolitaine des musées des arts visuels de Thessalonique (MOMus) organise au musée Alex Mylona, à Athènes, l’exposition « Tous ici. 50 ans de démocratie » (jusqu’au 14 avril), placée sous les auspices de la présidente de la République hellénique. Les mots « tous ici » dans le titre de l’exposition font référence aux slogans du soulèvement étudiant de l’École Polytechnique d’ Athènes, en novembre 1973.
L’exposition, dont le commissaire est l’historien d’art Yannis Bolis, rassemble des œuvres de quatre artistes grecs, parmi les plus importants de l’après-guerre (Vlassis Caniaris, Dimitris Alithinos, Vasso Katraki et A. Tassos). Ces artistes se sont exprimés à travers leurs œuvres et ont pris une position «politique » pendant une période très sombre de l’histoire de la Grèce. En outre, l’exposition présente une nouvelle approche de la mémoire et de l’histoire, à travers une vidéo de l’artiste contemporain grec Yiannis Pappas, qui construit un pont entre passé et présent.
« De nos jours, nous jouissons de la stabilité et de la normalité de cinquante années de vie démocratique continue. Les œuvres de l’exposition nous rappellent l’art qui a su combiner l’expression d’angoisses collectives et d’expériences traumatiques personnelles, l’art qui se caractérise par un esprit essentiellement politique, combatif et dynamique, et qui n’a rien perdu de sa force. La vérité exprimée à travers ces œuvres et leur intensité confirment le pouvoir libérateur de l’art », a déclaré la présidente de la République hellénique, Katerina Sakellaropoulou, lors du vernissage.
Vasso Katraki, Platytera III, 1969, pierre gravée, 103 x 75 cm, Collection Marianna Katraki
Les artistes face à la dictature
Dans un premier temps, après l’imposition de la dictature du 21 avril 1967, la plupart des artistes ont choisi de ne pas participer aux événements culturels, exprimant ainsi leur opposition à la junte. Certains artistes se sont engagés dans des organisations contre la dictature, d’autres ont fui à l’étranger ou bien ont été arrêtés et exilés. Après presque deux ans, les artistes se rendent compte du fait que leur non-participation à la vie culturelle conduit à une impasse et commencent à s’exprimer contre la dictature et la censure imposée.
Photo © Nikos Palaiologos/momusalexmylona
Des œuvres devenues symboles de résistance et d’espoir
L’exposition « Tous ici.50 ans de démocratie » présente une sélection d’œuvres créées par les artistes grecs Vlassis Caniaris, Dimitris Alithinos, Vasso Katraki et A. Tassos, pendant la dictature en Grèce. Ces œuvres, qui ont été présentées dans des expositions pendant ou juste après la junte, sont devenues des symboles de résistance, d’opposition, d’espoir et de démocratie.
Photos: À gauche, Vlassis Caniaris, Ceinture, 1969, plaque de plâtre sur socle de plâtre avec fil de fer barbelé, 97 x 90 x 15 cm, Collection privée. À droite, Vlassis Caniaris, Sans titre, 1969, plâtre sur cadre en bois et œillets rouges implantés , 100 x 53 x 6 cm, Collection privée
L’exposition individuelle de Vlassis Caniaris à la Nouvelle Galerie (Athènes), en 1969, a été l’une des premières expositions à rompre symboliquement le silence des artistes grecs, l’une des premières manifestations artistiques de résistance à la junte. Les compositions de Caniaris avec du plâtre, des fils de fer barbelés et des œillets rouges, conduisent à une lecture purement politique: d’un côté elles symbolisent la lutte et l’espoir de la victoire et de l’autre elles font allusion aux conditions de privation de liberté, à la torture et à la cruauté de la junte. En 1970, dans la foulée des événements de mai 68, une exposition individuelle de Caniaris est organisée par Pierre Godibert au Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris, incluant des œuvres de l’exposition de 1969 à Athènes.
Dimitris Alithinos, Sans titre, 1972, plâtre, polystyrène expansé, tissu, bois, microphone, haut-parleurs, dimensions variables, Collection personnelle de l’artiste
Dimitris Alithinos a organisé deux expositions « historiques » à Athènes en pleine dictature (en 1972 et 1973). Ses œuvres, telles que la cage avec la tête de mort et le canari ou la figure rouge « crucifiée », ne constituent pas seulement des propositions novatrices pour l’art grec de l’époque, mais posent également des questions cruciales sur le rôle du créateur et de l’œuvre d’art, en particulier à une époque marquée par la répression des libertés.
Vasso Katraki, Le devoir d’Antigone, 1972, pierre gravée , 130 x 113 cm, Collection Marianna Katraki
Vasso Katraki est arrêtée par le régime militaire et exilée à l’île de Gyaros. Après son retour de l’exil, ses gravures à l’encre noire expriment des sentiments et des expériences à un niveau individuel, mais aussi collectif. Son exposition au centre culturel artistique « Ora » d’Athènes (1972) rassemble ses compositions de corps mutilés, de figures féminines sacerdotales (« Platyteres », en grec) et de la figure tragique d’Antigone s’apprêtant à accomplir son devoir.
Les expositions de Caniaris, Alithinos et Katraki, sous la menace d’interdictions et de persécutions, attirent les foules. La présence du public à ces expositions remplace en quelque sorte l’activité politique interdite.
A. Tassos, Archange avec la mitrailleuse B (extrait du polyptyque En mémoire de Che Guevara), 1968, plaque de bois encrée, 150 x 47 x 2.5 cm, Collection de la Fondation A. Tassos
Les gravures sur bois d’ A. Tassos, réalisées pendant la dictature, sont présentées en 1975, après le rétablissement de la démocratie en Grèce, à la Pinacothèque nationale d’Athènes. Elles représentent la douleur, l’héroïsme, la résistance et l’opposition, et constituent de puissantes allégories qui s’imposent par leur style épique et monumental.
Sources et Photos: MOMus – musée Alex Mylona
S.G.
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