L’histoire du mouvement féministe en Grèce commence à la fin du 19e siècle quand certaines femmes éduquées de la bourgeoisie grecque ont réalisé qu’il était temps que les femmes deviennent visibles dans la vie publique par leur discours, leurs idées, leurs demandes d’égalité et leur solidarité pratique avec les femmes des classes populaires.
La revue « Le Journal de Dames » (en grec : Efimeris ton Kirion) publiée en 1887 par des femmes et adressée aux femmes des classes moyennes du nouvel État grec et de la diaspora grecque a marqué le début du mouvement féministe en Grèce. La revue était dirigée et éditée par la journaliste et écrivaine Callirhoe Parren. L’équipe de rédaction de la revue était composée des femmes grecques cultivées : Agathoniki Antoniadou, Sappho Leontias, la docteure Anthi Vassiliadou, Florentia Fountoukli et Krystallia Chrysovergi possédaient une bonne maîtrise de la langue et étaient en plus au courant des luttes des femmes pour leur émancipation en Europe et en Amérique.
Les premières revendications du mouvement féministe
Les premières revendications de ces femmes se rapportaient au droit de l’éducation, de l’instruction et de la formation professionnelle des femmes des classes populaires. Il était clair qu’un nouveau groupe social émergeait au sein de la société grecque pleinement conscient de la discrimination imposée jusqu’à alors par la société et les institutions patriarcales.
Ecole ménagère, à la fin du 19e siècle
A l’initiative de premières féministes grecques et particulièrement de Callirhoe Parren des “écoles du dimanche” ont été fondées à partir de 1890 dans la plupart des villes grecques, afin d’éduquer les filles qui travaillaient et qui ne pouvaient pas aller à l’école. À partir de 1896, des “écoles professionnelles et ménagères” sont fondées, dans le but de lier l’enseignement technique aux moyens de vivre.
Les premières féministes réclament également des droits civils pour que les femmes gèrent leurs propres biens, participent aux conseils de famille et assument la garde de leurs enfants.
En effet, l’exode massif des femmes durant l’entre-deux-guerres vers le marché du travail, dans les petits métiers, les usines et les services publics a permis aux femmes de renverser leur dépendance économique absolue vis-à-vis des hommes et de prendre conscience des problèmes et des conditions sociales auxquels elles devaient faire face.
Les premières réformes du travail des femmes et du système éducatif sont introduites en 1910 par le gouvernement du parti Libéral de Eleftherios Venizelos (“Κόμμα Φιλελευθέρων”). À partir de 1912, la loi interdit aux femmes de travailler la nuit et de participer à des occupations lourdes et insalubres. Les premières mesures de protection de la maternité sont également prises, prévoyant un congé de quelques semaines après l’accouchement. Dans le domaine de l’éducation, des écoles, des instituts pédagogiques et des lycées de filles sont créés et le nombre d’étudiantes augmente. La présence des femmes se fait sentir dans les services publics et dans les professions libérales : enseignantes, conférencières, téléphonistes, dactylos, caissières, infirmières, sages-femmes, médecins, pédiatres et journalistes.
Le droit de vote dans les années 1930 et 1950
Ce n’est que en 1920 avec la fondation de la “Ligue pour les droits de la femme” par Avra Theodoropoulou, épouse de l’avocat et conseiller d’Eleftherios Venizelos Spyros Theodoropoulos, que le mouvement féministe en Grèce se tourne vers la revendication de droits civiques des femmes. La Ligue, affiliée à l’Alliance internationale des femmes a été l’organisation féministe la plus représentative pour la promotion des revendications des femmes unissant toutes les féministes dans le combat commun du suffrage féminin. La brochure “La lutte des femmes”, rédigée dans la langue démotique (“populaire”) reflétait les positions de la Ligue pour les droits des femmes et ses revendications.
Les autorités politiques en février 1930, sous la pression du mouvement féministe, ont accordé aux femmes le droit de vote aux élections municipales aux conditions suivantes : avoir plus de 30 ans et être alphabétisées. Les femmes ont fait usage de ce droit aux élections municipales en 1934, pourtant quelques centaines ont bénéficié de ce droit.
Pendant l’occupation de la Grèce par les puissances de l’Axe, les femmes étaient très présentes dans les groupes de Résistance, qui faisaient principalement partie du Front de libération nationale (EAM). En 1944, les femmes ont participé aux élections organisées par le Comité politique de libération nationale (PEEA).
Des femmes votant en 1944 aux élections organisées par le Comité politique de libération nationale (PEEA)
Après la Libération, les principales associations de femmes ont repris leurs activités et de nouvelles associations ont été créées conformément à la tradition de l’EAM: l’Union panhellénique des femmes et la Fédération panhellénique des femmes. La paix et la protection des mères et des enfants sont devenues les revendications principales du mouvement des femmes.
À la veille de la guerre civile (1946-1949), tous les groupes de femmes de gauche ont été déclarés illégaux. Pendant la guerre civile, les femmes étaient présentes sur les deux camps, bien que dans des circonstances différentes. La participation des femmes dans l’armée démocratique a permis, entre autres, de mettre à l’épreuve normes et stéréotypes sociétaux, ainsi que de démontrer leur persistance.
Les femmes grecques ont acquis les pleins droits électoraux le 7 juin 1952 avec la loi 2151 alors que la première femme grecque députée, Eleni Skoura, est élue aux élections de 1953. La signature du Pacte international des Nations Unies par la Grèce en 1952 a également permetté aux femmes d’occuper des postes publics jusqu’alors réservés aux hommes.
Des femmes votant en 1956 aux élections législatives. Source : Archives photographiques du Musée Benaki
La chute de la junte militaire et le “néo-féminisme”
Pendant les sept années de la dictature de 1967, le fonctionnement des organisations de femmes a été interdit et nombre de leurs archives ont été détruites. La participation des femmes aux organisations de résistance en Grèce et à l’étranger est importante. Nombre d’entre elles sont emprisonnées et exilées.
Après la chute de la junte militaire en 1974 et pendant la période de transition vers la démocratie (Metapolitefsi), de nouveaux sujets collectifs émergent dans la sphère publique revendiquant vivement leur visibilité politique. Les féministes de l’époque tentent de mettre en évidence le caractère politique de la hiérarchie entre les sexes, tant dans la sphère privée que dans la sphère publique, en dénonçant la domination masculine comme condition sous-jacente de toutes les relations sociales. Le slogan “Le personnel est politique” résume le mieux l’importance accordée à la mise en évidence de l’aspect social et politique des relations entre les hommes et les femmes. De nombreuses femmes participent à des mouvements qui dénoncent la discrimination à l’égard des femmes, revendiquent l’égalité des sexes et cherchent à assurer la présence des femmes en politique.
Des revues des organisations de femmes dans les années 1970 et 1980. Source : Parlement grec
La Constitution de 1975 pose les bases de l’égalité des sexes. Dans l’article 4, par. 1 et 2, il est déclaré que : “tous les Grecs sont égaux devant la loi. Les Grecs et les Grecques ont les mêmes droits et obligations”. L’État commence à reconnaître les questions féministes en créant des institutions responsables de l’égalité des sexes et tente de réduire la discrimination institutionnelle à l’égard des femmes. La reconnaissance constitutionnelle de l’égalité a entraîné des changements ultérieurs dans le droit de la famille, le droit du travail et les lois sur l’éducation, la sécurité sociale, la maternité, la santé et la criminalité.
Les organisations de femmes après la chute de la junte militaire rejoignent un nouveau mouvement radical, le “néo-féminisme”, qui concentre ses conquêtes sur les questions de la vie privée : violence domestique, légalisation de l’avortement, sexualité, famille et travail.
Manifestation à Athènes pour le changement du droit de la famille, 8 mars 1980 | Collection d’Angelica Psarra | Source : Parlement grec
Après le rétablissement de la démocratie, la structure du mouvement féminin s’est diversifiée. Les organisations de femmes, dont le fonctionnement avait été interrompu par la junte militaire, ont été rétablies. La « Ligue grecque pour les droits de la femme” (Syndesmos gia ta Dikaiomata ton Gynaikon/SDG) en est un exemple. La SDG a été fondée de nouveau en 1974 et a participé vivement à l’activisme des femmes au cours de la période 1974-1990. Il a également joué un rôle crucial dans la mise en place du nouveau cadre institutionnel sur l’égalité entre les hommes et les femmes.
Dans le même temps, des organisations féminines nationales ont été créées en relation avec les partis politiques ou dans le cadre de ceux-ci. Cette catégorie comprend trois grandes organisations nationales de femmes : l’Union des femmes grecques (Enosi Gynaikon Elladas/EGE) politiquement liée au PASOK, le Mouvement démocratique des femmes (Kinisi Dimokratikon Gynaikon/KDG) politiquement lié au parti euro-communiste (KKE Intérieur) et la Fédération des femmes grecques (Omospondia Gynaikon Ellados/ OGE) liée au Parti communiste de Grèce (KKE). Au cours de la même période les mouvements de jeunesse et les syndicats ont progressivement créé des sections ou des comités de femmes axés sur les questions relatives aux femmes actives.
“Je n’appartiens pas à mon père ni à mon mari, Je veux être moi-même” Slogan du mouvement féministe des années 1980 – Manifestation à Athènes, 1980 | Collection d’Athina Lekakkou | Source : Parlement grec
Le nouveau Code de la Famille a été établi en 1982 introduisant l’égalité des sexes, la suppression de la dot de mariage et de l’autorité du père, la dépénalisation de l’adultère et le droit d’avoir des enfants hors mariage. La dépénalisation de l’avortement n’est prévue qu’en 1986.
Les trois vagues du mouvement féministe
Selon la bibliographie internationale il y trois vagues du mouvement féministe : la première vague (fin 19e siècle – début 20e siècle) porte sur les droits humains fondamentaux et l’accès égal aux droits civils et politiques et notamment sur le droit de vote et d’éligibilité; la deuxième vague (pendant les années 1960-1980) concerne l’élimination des inégalités sociales et politiques dans une société patriarcale où l’égalité de deux sexes est déjà établie formellement par la loi.
Au cours de la troisième vague (à partir des années 2000) les féministes ont commencé à remettre en question les propositions incomplètes des deux vagues précédentes. Ainsi, en essayant de démêler leurs revendications, elles discutent des questions de violence découlant soit du racisme, soit de la discrimination fondée sur le sexe. En particulier, dans le contexte familial, on constate un grand effort de soutien aux femmes victimes de violence domestique. Elles ne se limitent pas à cela bien sûr, puisque les besoins de la communauté LGBTQ+ font surface. Le féminisme se fait désormais le champion des minorités, qu’elles soient liées à l’ascendance, au genre ou même à l’orientation sexuelle. Ceci est le cas pour le féminisme en Grèce.
Divers sous-mouvements ont vu le jour au cours de cette vague, dont les plus célèbres sont #metoo et #time’s up. Pour beaucoup, ils semblent constituer une nouvelle vague de féminisme – qui est encore en train de se former – et se répandent grâce à l’utilisation des médias sociaux.
Ioulia Elmatzoglou | GrèceHebdo.gr
Photo d’introduction : Callirhoe Parren (1859-1940). Source: Archive de “Lykeion Ellinidon”
Sources
Le féminisme dans les années post-communistes, 1974-1990 : idées, collectifs, revendications (2017) – Parlement grec (en anglais)
Cartographie du mouvement féministe en Grèce : Quêtes idéologiques et politiques et sa contribution – Diotima | Centre pour les droits et l’égalité des sexes (en grec)
Feminism and Transition to Democracy (1974-1990): Ideas, collectives, claims – Greek News Agenda (en anglais)
Ligue pour les droits de la femme
Le feminisme en Grece (2010) : Zizi Salimba ed. Efsyn (en grec)
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