La métamorphose de Thessalonique en ville moderne est en grande partie due à la contribution des architectes, ingénieurs, agronomes, et archéologues français, arrivés dans la ville avec l’armée d’Orient (1915-1918) pendant la Première Guerre mondiale. Une figure majeure de la conception de Thessalonique telle que nous la connaissons aujourd’hui fut l’archéologue, architecte et urbaniste Ernest Hébrard (1875-1933).
« Je suis heureux de l’avancement des travaux de construction. En ce qui concerne la construction de la zone d’incendie, on peut dire que les travaux sont presque terminés. Pour que quelqu’un apprécie le spectacle qu’offre Thessalonique à présent, il faut qu’il ait connu la vieille ville et qu’il voie les deux l’une contre l’autre comme dans un miroir. Voir la ville comme elle était auparavant, sans rues et sans places ; une ville qui incommodait le promeneur et l’habitant, et comme elle est actuellement, que nous l’avons ouverte et dotée de larges rues et de belles places.
Sur le plan architectural, notre désir était de transformer Thessalonique en un petit Paris, mais cela n’a pas été possible pour de nombreuses raisons, principalement financières. Le plus gros problème pour la mise en œuvre du nouveau plan était les exigences des propriétaires, qui craignaient le lendemain et ne pouvaient pas envisager les avantages d’un projet de rénovation. En raison de nombreuses difficultés similaires, nous n’avons pas été en mesure de réaliser le plan parfaitement comme nous le souhaitions. Et à certains endroits, nous avons laissé des rues tortueuses. ».
Ainsi répondit Ernest Hébrard le 27 septembre 1930 lorsque le quotidien Makedonia lui demanda comment il voyait la nouvelle Thessalonique.
Pendant les dernières années, et surtout depuis 2017, l’année qui marqua le 100e anniversaire de l’incendie et de la reconstruction de Thessalonique, le nom d’Ernest Hébrard est revenu à la lumière. À travers des hommages dans la presse, des publications scientifiques et des colloques, les habitants de Thessalonique ont pris conscience de l’œuvre et ont honoré la contribution de cette grande figure de l’architecture française à l’introduction de la modernité dans leur ville.
Ernest Hébrard : biographie brève
L’incendie s’est déclaré au nord de la ville, le 18 août 1917 et il a duré 32 heures. Pendant ce temps, il a brûlé 120 hectares du cœur de la ville historique et détruit 9 500 bâtiments, dont des magasins, des services publics, des lieux de culte, des espaces de loisirs ainsi qu’un grand nombre de maisons, laissant 70 000 personnes sans-abri.
Le ministre des Transports, Aléxandros Papanastasíou, a presque immédiatement nommé une équipe d’architectes pour travailler sous les ordres d’Ernest Hébrard. Á l’équipe s’ajoute l’ingénieur militaire Joseph Pleyber. L’invitation quasi simultanée de Thomas Mawson par Élefthérios Vénizélos doit répondre au besoin d’équilibre entre les deux forces alliées (anglaise et française).
Selon l’historien et urbaniste Pierre Lavedan, la reconstruction de Thessalonique par Ernest Hébrard fut la première grande œuvre de l’urbanisme européen du XXe siècle. Son importance réside dans le fait qu’elle constitue la première application d’un nouveau concept d’urbanisme qui réponde aux nouvelles formes d’organisation et de fonctionnement de l’économie mondiale qui émergent au XXe siècle. En outre, pour les urbanistes français, l’étranger, et notamment les villes coloniales, étaient considérées comme des laboratoires d’expérimentation où l’efficacité politique de certains principes de planification pouvait être testée, avant de s’appliquer dans la France même. [A. Yerolympos, 1985].
Hébrard réalisera des études architecturales complètes pour des bâtiments publics individuels et proposera des façades spécifiques sur les axes et les places de la ville.
En ce qui concerne les monuments, le plan prévoit des dispositions spéciales visant à les promouvoir en tant que bâtiments individuels. Ainsi, libérés de leur environnement, sont placés dans l’axe de routes importantes, qui leur offrent des perspectives et des vues monumentales. Le plan prévoyait également un centre administratif, qui manquait à la Thessalonique du XIXe siècle, et un centre commercial qui inclurait le commerce de luxe autour des rues Vénizélos et Megalou Alexandrou (I. Tsimiski) et les marchés « traditionnels » aux deux côtés de l’avenue des Nations. Contrairement aux façades monumentales conçues par Hébrard, dont une grande partie, et peut-être la plus importante, a été réalisée – voire la rue et la place Aristotelous – aucun des bâtiments publics qu’il a conçus pour le centre administratif n’a été construit.
Le style Hébrard, contrairement à l’éclectisme de la période ottomane et au néoclassicisme d’Athènes, a d’abord tenté une lecture de la tradition locale byzantine. Comme le note Alexandra Yerolympos [2018], Hébrard intervient de manière effective dans le débat sur la grécité en architecture en introduisant le style « néobyzantin », mais aussi en sauvegardant des monuments ottomans malgré la vive polémique qu’il déjoue habilement en invoquant la grande valeur esthétique et artistique des ces monuments.
Dans le secteur privé, une partie des nouvelles constructions suivront les propositions morphologiques du projet Hébrard et seront influencées par l’architecture néo-coloniale ou mauresque ou rappelleront les souvenirs du passé byzantin de la ville [V. Colonas, 2017].
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