Les origines
Né en 1925 sur l’ile de Chios d’une mère issue de Çeşme (Asie Mineure) et d’un père né à Galata, près de La Canée en Crète, Mikis Theodorakis a connu une enfance avec beaucoup de pérégrinations dans toute la Grèce — Mytilène, Syros, Athènes, Ioannina, Céphalonie,, Patras, Pyrgos et Tripoli.
Sa passion pour la musique s’est manifestée dès son plus jeune âge et il a appris tout seul à écrire de la musique, sans avoir accès aux instruments. Il reçoit ensuite des cours de musique et donne son premier concert à Tripoli, à l’âge de dix-sept ans. La même année, il publie également son premier recueil de poèmes sous le pseudonyme Dinos Mais. Il poursuit ses études au Conservatoire d’Athènes qui seront interrompues par la suite par sa participation à la Résistance lors de la Seconde Guerre Mondiale, puis à la Guerre Civile Grecque de 1945 à 1949.
Pendant la Résistance, il est initié à l’idéologie marxiste et léniniste; musique et politique deviennent ainsi les deux éléments complémentaires qui déterminent sa vie. Lors de l’occupation de la Grèce pendant la seconde guerre mondiale par les troupes allemandes, italiennes et bulgares, il suit en cachette des cours au conservatoire d’Athènes, milite dans la résistance, et à deux reprises il se voit arrêté et subit la torture. Pendant la guerre civile, il connaît à nouveau des arrestations et tortures et sera alors exilé à Icaria et à Makronissos.
Après la guerre, le Conservatoire de Paris (1954-1960)
Un an après la fin de la Guerre Civile, en 1950, il est diplômé du conservatoire où est créée son œuvre Assi Gonia et en 1954, il quitte la Grèce pour aller s’installer en France, avec sa femme Myrto Altinoglou, lauréats d’une bourse tous les deux. En France, Mikis va suivre les cours d’Eugène Bigot et d’Olivier Messiaen, au conservatoire de Paris. Au fil de ses compositions (musique symphonique, musique de chambre, cantates et oratorios, musiques de ballet etc), il devient un compositeur classique apprécié et en 1959, sur la recommandation de Darius Milhaud, William and Noma Copley Foundation lui décerne son Prix du Meilleur Compositeur Européen. Au Festival mondial de la jeunesse et des étudiants de 1957 à Moscou, il a reçu la médaille d’or par un jury présidé par Dmitri Shostakovich.
La notoriété de Theodorakis ne fait aue gagner du terrain au niveau international. Il a composé des musiques pour les films de Michael Powell ll Met by Moonlight ( 1957) et Honeymoon (1959); ce dernier présentait “Honeymoon Song”, une pièce célèbre qui a ensuite été reprise par de nombreux artistes, dont les Beatles.
En 1960, il retourne en Grèce et enregistre l’une de ses œuvres les plus importantes, Epitafios, basée principalement sur la collection poétique de Yiannis Ritsos. Theodorakis a en fait sorti deux versions différentes de l’œuvre : l’une orchestrée par le tout aussi célèbre compositeur Manos Hadjidakis, avec la voix de Nana Mouskouri, et l’autre enregistrée avec les artistes de musique populaire grecque Manolis Chiotis et Grigoris Bithikotsis avec une orchestration mettant en vedette le bouzouki. Le travail a depuis été couvert par plusieurs artistes grecs de premier plan.
Ses œuvres de cette période sont souvent basées sur des poèmes ou des recueils poétiques entiers d’artistes grecs et étrangers, dont Axion Esti (Odysseas Elytis), Mauthausen (Iakovos Kambanellis), Romiossini (Yannis Ritsos) et Romancero Gitano (Federico García Lorca). C’est à cette époque qu’il développe -notamment avec Axion Esti- son concept de « musique métasymphonique » : des compositions symphoniques qui dépassent le statut « classique » et mélangent éléments symphoniques avec chants populaires, orchestre symphonique occidental et instruments populaires grecs.
Très remarquable aussi, son travail sur les paroles de son frère Yannis, par exemple le premier cycle de quatre chansons : Lipotaktes (« Les déserteurs ») sorti en disque avec la voix de Mikis Theodorakis en 1962.
Durant cette période, il compose également des musiques pour des films grecs et internationaux dont Phaedra de Jules Dassin (1962), Les Amants de Teruel de Raymond Rouleau (1962), Electra de Michael Cacoyannis (1962). En 1964, il compose également l’un de ses airs les plus emblématiques : le thème principal de Zorba le Grec de Cacoyannis, depuis considéré comme la quintessence de la musique de danse grecque, généralement appelée « la danse de Zorba » ou « la danse syrtaki » qui le rend célèbre auprès du grand public.
Theodorakis a donné de nombreux concerts dans toute la Grèce, mais son intérêt pour la politique n’a jamais cessé d’ être vif. Après l’assassinat du député progressiste et militant pour la paix Grigoris Lambrakis en mai 1963, il a été élu président du mouvement Jeunesses Lambrakis, une organisation politique qui a rassemblé plus de 50 000 membres et a joué un rôle décisif dans le mouvement progressiste grec des années 1960.
Aux élections nationales de 1964, Theodorakis est devenu député du parti de gauche EDA. En raison de ses opinions politiques,un bon nombre de ses chansons ont été censurées ou interdites de diffusion à l’époque.
Avec l’imposition de la dictature du 21 avril 1967, un nouveau cycle de persécution et d’exil va commencer pour le compositeur, qu’il sera arrêté et emprisonné.
Sa musique étant complètement interdite suite a une grève de la faim il a été libéré de prison en janvier 1968, et assigné à résidence dans un village isolé du Péloponnèse (Zatouna), pour être à nouveau transféré dans un camp de prisonniers à Oropos (d’où sa chanson homonyme).
Sur le cycle de poèmes de Yannis Ritsos, Mikis Theodorakis compose Epitaphios. Suivent d’autres créations magnifiant les textes et la poésie d’auteurs grecs des XIXe et XXe siècles. Après l’assassinat, en 1963, du député de l’EDA (Gauche démocratique unifiée) Grigoris Lambrakis (raconté dans le film Z, en 1969, réalisé par Costa-Gavras, dont Theodorakis composera la musique) il fonde la Jeunesse démocratique Lambrakis, qui deviendra alors la plus forte organisation politique du pays.
Exilé en France pendant la dictature (1970-1974)
Son emprisonnement se terminera en 1970 avec l’amnistie qui lui sera accordée, après le tollé international et les efforts de personnalités internationales. En 1970 il ira de nouveau à Paris et donnera des dizaines de concerts contre les colonels, ce qui le fera connaître partout comme un symbole de la lutte anti-dictature grâce à la pression internationale et les campagnes de solidarité impliquant diverses personnalités (Dimitri Chostakovitch, Leonard Bernstein, Arthur Miller, Harry Belafonte, Jean-Jacques Servan-Schreiber etc).
En exil, Theodorakis a organisé des tournées dans le monde entier, sensibilisant l’opinion publique internationale contre les persécutions et à l’empiètement des droits de l’Homme en Grèce. Avec Melina Mercouri, il est devenu une figure de proue de la lutte contre la junte et un symbole de défiance, ses concerts attirant un large public. Certaines de ses œuvres les plus célèbres de cette période comprennent une mise en musique du Canto General de Pablo Neruda.
De retour Grèce et dernières années (1974-2021)
De retour en Grèce après la restauration de la démocratie le 24 juillet 1974, Mikis Theodorakis s’implique à nouveau dans la vie politique du pays. En 1978, il s’est présenté à la mairie d’Athènes sur la liste du Parti communiste grec.
Il a été élu au Parlement avec le Parti communiste en 1981 et 1985 tandis qu’en 1990 il s’est présenté comme candidat indépendant soutenu par la Nouvelle Démocratie, et a été ministre d’État de 1990 à 1992, dans le gouvernement de Konstantinos Mitsotakis.
En 1993, Theodorakis a pris la direction des chœurs et orchestres symphoniques de la radio-télévision nationale grecque (ERT). Lors d’une tournée aux États-Unis, il a été honoré par le Sénat américain pour ses services rendus à la culture et à l’humanité. Il a continué à donner des concerts et à s’impliquer dans la politique, engagé dans la lutte pour les droits de l’homme, les questions environnementales et la promotion de la paix dans le monde. Entre autres causes, il a promu l’amitié gréco-turque, avec le musicien, auteur, poète et homme politique turc Zülfü Livaneli. À ce jour, Theodorakis est toujours présent dans la sphère publique ; ses œuvres constituent pqssqge incontournable pour les orchestres grecs et un point de référence pour tout compositeur grec, tandis que ses chansons sont toujours extrêmement populaires et pertinentes.
Mikis Theodorakis, accompagné de chants et melodies du public, a été enterré jeudi le 9 septembre en Crete, auprès de ses parents et son frère Yannis, selon sa dernière volonté. Un homme révolté, un “dieu de la musique grecque”, Theodorakis a marqué l’histoire du XXème siècle, ayant réussi à chanter aussi bien l’amour tendre d’une mère pour son fils que l’amour fou d’une femme pour son amant, le chagrin d’un homme mourant dans la prison ou dans d’un camp de concentration autant que l’amour pour la vie, les combats pour la liberté, comme la sérénité du paysage cycladique sous la lumière grecque.
(Photo d’introduction: Mikis Theodorakis, Tel Aviv, 1972. Source: www.mikistheodorakis.gr)
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Journal de Résistance, Flammarion, Paris 1971
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Culture et dimensions politiques, préface de Roger Garaudy, Flammarion, Paris, 1972
- Les Fiancés de Pénélope. Entretiens avec Denis Bourgeois, préface de François Mitterrand, Grasset, Paris, 1976
- Mikis Theodorakis (trad. Pierre Comberousse), Les Chemins de l’Archange, Paris, Belfond, 1989.
- Staline, Debussy et Dionysos – Les Chemins de l’Archange, tome 2, trad. Pierre Comberousse, Belfond, Paris, 1990
- Poèmes – Dans les jardins paradisiaques de mon crâne, édition bilingue : français-allemand, traduction française : Héraclès Galanakis et Guy Wagner, traduction allemande : Ina & Asteris Koutoulas, avec dessins de Theodorakis, commentaires, interviews et chronologie, éditions Phi, Luxembourg, 2001
M.V.