L’exposition « L’aventure phocéenne. Grecs, Ibères et Gaulois en Méditerranée nord-occidentale » qui a lieu du samedi 23 novembre 2019 au lundi 6 juillet 2020 au Musée Henri Prades à Lattes offre l’occasion de revisiter, entre autres, le moment historique de la colonisation grecque sur le nord-ouest méditerranéen. Bien que les contacts entre peuples indigènes de Gaule et sociétés méditerranéennes aient commencé bien avant la colonisation grecque, l’exposition ne manque pas de souligner l’installation permanente de Grecs et surtout la fondation de Massalia par les Phocéens au 6ème siècle av. J.C. en tant que jalon majeur et « empreinte durable » sur l’espace régional.

Comme remarque Henri Trezigny au sujet de la zone côtière de Marseille, on note une fréquentation sporadique par des populations locales et possiblement des activités de pêche ou d’élevage, sans qu’il y ait toutefois d’habitats fortifiés (1995). Ce sera l’installation phocéenne et la fondation de Marseille entre 600 et 596 qui changeront la donne sur le littoral de la région (Bats 2012). Selon la légende de la fondation de la ville, le site fut offert aux œcistes phocéens par le roi indigène Nanos, dont la fille Gyptis épousa l’œciste Protis (Pralon 1995, Bats 2012). À noter que cette légende des noces de Protis et Gyptis, comme rapportée par Aristote, ainsi que Justin, s’inscrit dans la tradition indo-européenne des mythes fondateurs ; Aristote s’en sert pour décrire Marseille en tant que cité coloniale issue du mélange ethnique et culturel (Pralon 1992). En même temps, force est de constater que les relations avec le monde indigène ont parfois été hostiles, et c’est pourquoi fut construit une première muraille entourant la cité phocéenne (Trezigny 1995).

“La fondation de Marseille” (entre 1862-1866), par Victor Duruy (1811-1894)
(Source: Wikimedia Commons)

Les fondateurs Phocéens étaient vraisemblablement spécialisés dans le commerce (emporia) et longs voyages (makrai nautailiai), du fait des ressources naturelles limitées de la métropole ionienne. Les Phocéens fonderont alors plus tard Alalia en Corse en 565 av. J.C., cité jumelle de Massalia à orientation plutôt agricole, mais aussi entre temps l’escale commerciale Emporion (Ampurias) sur la côte catalane en 580 av. J.C. Michel Bats décerne une triple orientation de Marseille vers a) la méditerranée orientale et la métropole ionienne, b) l’Étrurie, et c) l’Espagne du Levant et l’Andalousie, dans un circuit commercial où dominent vin et céramiques. En effet, la création de Marseille sur un site par ailleurs pauvre en termes agricoles semble avoir être guidée par sa proximité à l’Espagne (Bats 2012).

Plan archéologique et trame urbaine de Massalia
Plan archéologique et trame urbaine de la ville grecque de Massalia (Source: Réseau Canopé/Wikimedia Commons, Licence: CC BY-SA 4.0)

La prise de Phocée par les Perses en 545 av. J.C. met en relief des divisions sociales au sein du réseau phocéen, entre Phocéens de la métropole capturée et des colonies libres, mais aussi entre propriétaires terriens (qui préféreront rester en Ionie sous domination Perse), navigateurs et commerçants. Ces différentiations mettront aussi à l’épreuve la solidarité entre les colonies phocéennes Massalia et Alalia ; en effet, la plupart des nouveaux venus de la métropole Phocéenne ayant trouvé refuge à Alalia et ayant commencé à concurrencer directement Étrusques et Carthaginois s’aliéneront de leurs confrères Massaliètes plus expérimentés. Ainsi, ces derniers s’abstiendront d’aider les Phocéens d’Alalia lors de la bataille navale de 540 av. J.C. qui les opposa aux Etrusques et aux Carthaginois et qui signalera leur défaite (Bats 2012). Cette décision permettra aux Massaliètes de persister dans le temps et de sécuriser une présence commerciale et politique permanente.

Comme souligné par Michel Bats, outre les relations avec d’autres acteurs majeurs du bassin méditerranéen, Marseille entretiendra un réseau de distribution commerciale sur le littoral Gaulois ainsi que dans l’arrière-pays Gaulois, jusqu’en Bourgogne, Wurtemberg, Champagne et Bourges, depuis la première moitié du 5ème siècle av. J.C. L’intensification de la concurrence Carthaginoise-Romaine trouvera les Massaliètes dans le camp romain et les aidera à assurer leur domination sur le plan régional, en conquérant des zones aux alentours de la cité, ainsi qu’en fondant des villes (poleis) et bastions avancés (epiteikhismata) en Ibérie, au Rhône et au littoral provençal ou aux Alpes. Celles-là comprennent des villes telles qu’Antipolis, Olbia, ou Nikaia. Cette période inaugurera une puissance indisputable de Marseille sur le littoral entre l’Espagne et l’Italie, doublée par des établissements côtiers et des réseaux vers l’arrière-pays (Bats 2012).

Michel Bats finit par souligner que le lien phocéen persistera dans le temps, entre Massalia et d’autres anciennes colonies Phocéennes, comme Lampsaque (située sur l’Hellespont), ou Phocée elle-même, en faveur desquelles les Massaliètes interviennent auprès du Senat romain pendant le 2ème siècle av. J.C. En même temps, outre le lien phocéen ou hellène, Marseille fera preuve d’un sol fécond de syncrétisme culturel où fleuriront relations quotidiennes et liens marchands entre Phocéens et leur environnement Gaulois (Bats 2012). Tout au long de ce parcours dans l’antiquité, la ville s’étendra avec la construction successive de fortifications, de nouveaux quartiers orthogonaux vers toutes les directions (nord, est, ouest), et bien-sûr extensions portuaires et nouveaux quais (Trezigny 1995).

Panorama fouilles site Corderie
Panorama de la zone des fouilles de la carrière antique de la Corderie. Photo par Sitearcheocorderie (Source: Wikipedia.fr, Licence: CC BY-SA 4.0)

Comme souligne Michel Bruneau, Marseille rayonnera sur la Gaule méridionale et l’Espagne en tant que le centre commercial et culturel grec le plus important d’Occident ; elle fondera même une colonie à l’intérieur de la Gaule, Glanon (Saint-Rémy-de-Provence), et hellénisera en partie les Celto-Ligures de la région de Provence (Bruneau 1996). Certes, Marseille fut graduellement incorporée dans le monde romain ; cependant, c’est à Marseille où réapparut, beaucoup plus tard, au XVIIIème siècle, une nouvelle implantation grecque « conséquente et durable » (Bruneau 1996), attribuant de nouveau un trait hellénique distinct à celle qu’on a toujours nommée « la cité phocéenne ».

Dimitris Gkintidis | Grecehebdo.gr

INFOS PRATIQUES : 23 novembre 2019 – 6 juillet 2020 > Exposition « L’aventure phocéenne. Grecs, Ibères et Gaulois en Méditerranée nord-occidentale »

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D. G.

 

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