L’École Française d’Athènes (EFA), fondée en 1846, est le premier institut de recherche en sciences humaines étranger établi en Grèce. Bien que sa mission, fortement influencée par le poids de l’archéologie, fut centrée initialement sur la période antique et plus tard byzantine, l’École inclut aussi depuis trente ans une section d’Études sur les Époques Moderne et Contemporaine. La recherche effectuée au sein de ce pôle d’études présente un aspect pluridisciplinaire et innovant dans la tradition des recherches de l’EFA et couvre des thématiques diverses et souvent en relation aux développements géopolitiques contemporains. Grèce Hebdo* a eu l’occasion de s’entretenir avec le directeur de la section, Tassos Anastassiadis, assoc. prof. au Département d’Histoire de l’Université McGill à Montréal et titulaire de la chaire Phrixos Papachristidis en études grecques et grécocanadiennes, sur les orientations et les modalités de recherche de la section.

Les Études sur les Époques Moderne et Contemporaine sont un champ d’intérêt relativement récent au sein de l’EFA, depuis les années 1990. Pourriez-vous nous détailler la logique qui a sous-tendu la création d’un tel pôle de recherche ainsi que ses orientations majeures tout au long de cette période jusqu’aujourd’hui?

Officiellement, la création d’une section d’études modernes et contemporaines au sein de l’EFA date du milieu des années 1990. Aujourd’hui la section dispose de son directeur des études (un universitaire détaché pour assumer le poste entre 3 et 6 ans), recrute des membres scientifiques pour une durée de 2-4 ans, et développe des programmes au même titre que la section antique et byzantine. Cela fait de l’EFA, qui fut la première institution de recherche étrangère en Grèce au XIXe s., la première, et seule, pour l’instant, parmi les 18 institutions de recherche étrangères à Athènes à s’intéresser autant aux domaines de recherche relevant des époques ottomane, vénitienne et néo-hellénique couvrant l’ensemble des disciplines des Sciences humaines et sociales. Quant à la logique qui a présidé à cette création elle reste presque banale : il y a un monde après l’Antiquité et les périodes que je viens de mentionner méritent notre intérêt. De la même manière que les écoles-sœurs de l’EFA à Rome ou à Madrid s’intéressent à l’Espagne ou à l’Italie moderne, il fallait étudier l’espace grec dans son contexte balkanique et méditerranéen des croisades jusqu’à la crise des réfugiés. Les bouleversements géopolitiques que nous constatons dans la région depuis 1991 ont rendu cela une évidence.

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La façade de l’EFA, 2006 (Photo par Marsyas, Source: Wikimedia Commons, Licence: CC BY-SA 3.0)

Cela dit, historiquement, l’EFA s’était toujours intéressée aux questions de la Grèce moderne, et des membres individuels, on peut penser à About, Burnouf, Deschamps, Reinach, Roussel, C. Picard s’étaient toujours impliqués dans leurs questions contemporaines. L’idée même de l’ouverture sur le contemporain était posée par certains dès la Première Guerre mondiale. Il a fallu presque un siècle pour passer des idées des individus à l’institutionnalisation. De même les collaborations universitaires franco-grecques, que ce soit au niveau de l’anthropologie et la géographie dans les années 1960-1970 ou de l’histoire dans les années 1980-1990 étaient présentes et il restait à systématiser et agréger autour d’un pôle cet archipel d’initiatives. Nous retrouvons ces préoccupations dans les axes de recherche de la section : l’histoire des rapports franco-grecs du point de vue culturel, économique, industriel, politique et techno-scientifique à l’époque contemporaine ; l’étude des transformations démographiques, géographiques et anthropologiques de la Grèce, et en particulier d’Athènes ces quarante dernières années ; l’histoire des contacts entre Orient et Occident en Méditerranée orientale dans la longue durée ; la questions des conflits et de leur lendemain et leur impact sur les populations civiles de la région ; Enfin, en raison de son passé, et présent archéologique, la section s’intéresse à la fois à l’histoire de l’archéologie et aux questions d’actualité concernant le patrimoine et sa gestion.

Pourriez-vous nous détailler les aspects innovants dans la manière dont la recherche est organisée?

La question appelle une réponse d’abord au niveau de la forme puis du fond. L’EFA est tout d’abord une institution pratiquant l’autopsie, c’est-à-dire mettant l’accent au niveau du travail de terrain et de la production des données qui sont disponibles pour exploitation pour des générations de chercheurs. En même temps, il s’agit d’un laboratoire de recherche qui fonctionne comme un hub d’un réseau en étoile. Elle met en contact des institutions et des chercheurs en France, en Grèce mais aussi ailleurs afin de stimuler les partenariats mais aussi la circulation des idées et des bonnes pratiques. Cela est possible en multipliant et diversifiant les supports des personnes accueillies et travaillant avec l’institution. On dénombre des stagiaires de niveau mastère venus travailler sur un projet, des boursiers doctoraux venus passer un mois pour se former, des contractuels doctoraux associés plus étroitement à un programme, des membres scientifiques se situant au seuil sensible de passage du doctorat au post-doctorat et y trouvant tout l’appui pour se transformer d’étudiant en jeune chercheur accompli, et enfin les chercheurs seniors venus passer de 1 à 6 mois pour travailler sur une idée ou un projet, nouer des contacts, développer des partenariats. L’EFA entend toute cette communauté comme une pépinière d’où sortiront les prochains chercheurs travaillant sur la Grèce en France mais aussi les réseaux franco-grecs et les projets de recherche du futur.

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La salle A de la Bibliothèque de l’EFA, 2006 (Photo par Marsyas, Source: Wikimedia Commons, Licence: CC BY-SA 3.0)

Au niveau du fond, dans le cadre du contrat quinquennal actuel l’accent est mis sur le rapport entre les disciplines des Sciences humaines et sociales et les nouvelles technologies. On réfléchit beaucoup sur la question des humanités numériques en soutenant des projets d’encyclopédie numérique (comme l’Atlas social d’Athènes ou l’Atlas du patrimoine ottoman en Grèce), des projets de bases de données (les médiateurs culturels entre la France et la Grèce ou les entreprises françaises en Grèce), d’expositions virtuelles (l’Odyssée de Bérard illustrée par Boissonnas) de Systèmes d’Informations Géographiques (SIG) (comme celui sur l’Armée d’orient et sa présence en Macédoine durant la Première Guerre Mondiale). L’aspect nomadique et archipélagique de notre communauté de chercheurs nécessite aussi la mise à leur disposition d’outils comme des carnets numériques permettant la mise en commun de leur travail. Bien évidemment la question des nouvelles technologies ne se pose jamais en tant que remplacement du travail de recherche traditionnel. C’est un complément permettant parfois une meilleure exploration des certaines données et surtout une meilleure visibilité des résultats de la recherche auprès du grand public.

*Propos recueillis par Dimitris Gkintidis et Magdalini Varoucha

Photo de Tassos Anastassiadis par Eirini Miari/EFA

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D. G.

 

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