L’histoire du tourisme constitue un champ d’études en plein essor. Elle porte sur la construction sociale du tourisme en tant que pratiques de gestion du temps libre et de la mobilité, ainsi que le développement de la soi-disant économie touristique depuis le 19ème siècle. En parlant de tourisme, on doit distinguer entre, d’un côté, la longue tradition d’itinéraires personnels d’individus aisés, tels que les fameux “Grands Tours” que pratiquaient des aristocrates en provenance de l’Europe de l’Ouest sur la côte méditerranéenne au 18ème siècle, du tourisme en tant que phénomène social (“de masse”). Il est alors important de noter que le tourisme doit être saisi essentiellement dans le sens d’une “industrie” (Vergopoulos 2018). Le cas grec illustre les deux cas: d’un côté, les territoires grecs constituaient une destination privilégiée parmi érudits dans différentes périodes de temps – de l’Antiquité jusqu’à la modernité (Andriotis 2009). En même temps, depuis les débuts du 20ème siècle, le tourisme s’est constitué graduellement en tant qu’un secteur florissant de l’économie nationale. Ce parcours ne fut ni linéaire, ni dépourvu d’implications symboliques pour la renégociation continue de l’identité nationale grecque, qui oscille perpétuellement entre un passé antique glorieux et un présent animé et complexe.

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Parthenon, photo prise lors du voyage inaugural du Presidente Sarmiento de l’ARA, 1899, Archivo General de la Nación Argentina (Wikimedia commons)

Angelos Vlachos situe les fondements du tourisme grec dans la période de l’entre-deux guerres, en tenant compte aussi des avancées dans le domaine des infrastructures et des moyens de transport qui ont amélioré la connexion entre la Grèce et les marchés de l’Europe de l’Ouest à la fin du 19ème siècle (Vlachos in Iereidis and Vlachos 2016, aussiVlachos 2013). Le tournant du siècle signale une certaine massification des pratiques touristiques et la promotion de la Grèce en tant que destination touristique. Déjà dans les années 1880 la Grèce constituait une étape établie dans les divers trajets touristiques proposés aux touristes français de l’époque par des compagnies privées (souvent à côté des étapes Ottomanes, telles qu’Istanbul), ainsi que le sujet de guides touristiques populaires (Gerbot 1983). Les flux touristiques français vers la Grèce étaient inévitablement aussi liés aux poids symbolique que détenait l’idéal grec ancien parmi les couches moyennes lettrées en France (Chèze 2016). En même temps, le modèle français de gestion du tourisme par un Office national et la politique combinée d’initiatives privées et étatiques ont été répétés par l’État grec (Vlachos 2013). Ce fut en fait le deuxième gouvernement d’Eleftherios Venizelos qui a situé le “tourisme” explicitement en tant qu’objet de planification politique, avec la création de l’Organisme National Grec du Tourisme (EOT) en 1929. À noter que Venizelos avait déjà été personnellement impliqué dans des politiques de promotion de l’image de la Grèce envers les publics internationaux – et surtout francophones (Sohier 2013). Telle fut sa coopération avec la famille de photographes suisses Boissonnas dans les années 1910 et 1920, tant pour la promotion du caractère Hellénique des nouveaux territoires acquis durant cette période, ainsi que pour la promotion touristique et “archéologique” des territoires déjà établis en Grèce du Sud (Varoucha 2018, Boudouri 2002). Cette combinaison de politiques étrangère et touristique ne relevait pas tant d’une particularité grecque, mais doit être vue comme partie d’une tendance croissante d’usage du tourisme à des fins économiques et idéologiques dès l’entre-deux guerres (Vlachos 2013). D’une façon ou d’une autre, le tourisme s’avèrerait un champ de gouvernance incontournable dans les années à venir en Grèce, sous des régimes politiques différents (démocratie parlementaire, dictature, Occupation des forces de l’Axe); ainsi, l’entrée de la Grèce dans le marché touristique international de l’entre-deux guerres a introduit la question sur quel type d’image nationale devrait être promu envers les publics internationaux.

Dans son étude sur le tourisme français en Grèce, Mathilde Chèze (2016) a détaillé la transition graduelle de petits nombres de touristes érudits au tourisme de masse, en parallèle au changement des conditions de travail et de consommation en Europe. Les congés payés et la “démocratisation” des activités de temps libre sous le gouvernement du Front Populaire dans les années 1930 ont signalé pour la première fois la participation massive des couches moyennes et ouvrières dans le phénomène touristique. En même temps, les années 1930 ont signalé un long processus de développement d’infrastructures en Grèce pour l’amélioration des transports avec et dans le pays, créant de ce fait des occasions pour des initiatives privées s’adressant aux touristes français. L’étude de Chèze nous permet aussi de saisir les différentes manières avec lesquelles était perçue et popularisée en France la Grèce (et le voyage en Grèce), c’est à dire en tant qu’une destination chargée de références symboliques à l’antiquité, mais aussi une destination animée offrant des plaisirs moins sobres.

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Vue de l’Acropole, photo prise lors du premier voyage du MS Völkerfreundschaft du FDGB en 1960 par Helmut Schaar, Bundesarchiv Bild (Wikimedia commons)

Cette tension idéologique entre héritage antique et réalité contemporaine ne s’est pas apaisée tout au cours de l’après-guerre. Ceci relevait aussi des priorités économiques et idéologiques de l’État grec et des USA durant la Guerre Froide, c’est à dire tant le développement des activités touristiques mais aussi la promotion du caractère classique et “occidental” du pays. L‘implication d’acteurs divers dans les politiques de développement de l’après-guerre (tels que les archéologues américains de la Mission Américaine, Lalaki 2012,2013) a de ce fait conduit à la conservation de l’héritage antique dans l’orientation stratégique du tourisme grec dans les années à venir. Ainsi, la dualité entre “passé antique” et “présent authentique” est restée partie constituante des politiques de promotion touristique grecques tout au long de l’essor rapide du secteur à partir des années 1970. Il doit être noté toutefois que le tourisme grec s’est développé pleinement en “tourisme de masse” à partir des années 1980 (Chèze 2016). L’inclusion de la Grèce dans la CEE (et puis l’UE) a aussi offert des nouvelles formes de mobilité transnationale, ainsi que des programmes communautaires pour la promotion de nouvelles pratiques touristiques (Chèze 2016), telles que le tourisme de “quatre saisons”, le tourisme urbain, religieux, écologique et l’agro-tourisme. D’autre part, la crise économique récente a affecté la construction symbolique de la Grèce en tant que destination touristique; des nouvelles tendances touristiques “romantiseés” ont été influencées par les images d’un pays en crise telles que relayées par des médias globaux et des institutions internationales (Tzanelli and Krostanje 2016, aussi Vergopoulos 2018).

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Port de l’Ormos Aegiali, Amorgos, 1996 (Wikimedia commons)

Le tourisme demeure un pilier de l’économie grecque et il a récemment atteint un taux de croissance important (INSETE 2017). L’année 2018 a signalé une hausse du nombre des touristes qui sont arrivés en Grèce, au même moment où les initiatives de l’État grec aspirent à promouvoir une diversification des services touristiques et la transition du tourisme grec vers un modèle intégré (Kountoura 2018).

Dimitris Gkintidis (Photo Intro: Musée de l’Acropole 2009, Wikimedia Commons)

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D.G.

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