Grèce Hebdo* s’est entretenu avec le démographe et économiste Dionisis Balourdos, chercheur à l’EKKE (Centre National de Recherches Sociales). Il a récemment coordonné une enquête sur le problème démographique en Grèce pour le compte de l’organisme diaNEOSIS. En effet, la Grèce affiche ces trente dernières années un taux de fécondité très bas, un phénomène qui de plus a été accentué par la crise économique récente. Dionisis Balourdos a parlé de la relation entre crise économique et tendances démographiques, ainsi que les politiques de soutien de la fécondité en Grèce et en Europe.

La Grèce affiche ces dernières années un des taux de fécondité les plus bas au monde – 1,35 enfants par femme en 2017. Pouvez-vous nous expliquer quelles sont les causes et les implications de ce phénomène?

La crise économique – qui est souvent liée à une augmentation du chômage, une instabilité de l’emploi, l’incertitude professionnelle et économique parmi les jeunes adultes, ainsi qu’une diminution de leur vrai revenu – affecte directement le revenu familial et le coût d’opportunité qui sont liés à l’accueil des enfants, et, de ce fait, a probablement engendré une diminution importante du nombre des naissances. Un grand nombre de couples tardent à avoir des enfants en attendant que le climat économique s’améliore et dans nombreux cas cela a des effets sur la fécondité finale, qui diminue. Le vieillissement prolongé et l’altération de la pyramide de la population sont des conséquences immédiates de ces développements qui, entre autres, suscitent l’augmentation des dépenses pour les retraites, la Santé et les soins permanents.

pexels photo 842339
Photographe: Mike Chai. (Pexels.com)

Les changements démographiques qui ont eu lieu en Grèce ces dernières années reflètent-ils aussi des variations dans la structure de la famille grecque? À quel degré le cas grec reflète-t-il des tendances générales sur l’espace européen?

Dans la plupart des pays européens, les familles ne sont pas stables, leur taille moyenne diminue, il y a des mariages temporellement “décalés” et plus de divorces. On assiste à une augmentation du nombre des partenariats hors mariage et une augmentation du nombre des personnes qui vivent seules tout au long de leur vie. De plus, il y a une augmentation impressionnante du nombre des enfants qui vivent avec un adulte (ces parents sont des femmes dans leur majorité écrasante), ainsi qu’une diminution du nombre des couples sans enfants. Aussi, il est caractéristique que c’est des mères plus âgées qui donnent naissance aux enfants. Généralement, ces développements s’affichent dans tous les pays européens à des rythmes temporels et des intensités différents. Pour la Grèce toutefois, on doit noter deux différences majeures ou “extrêmes”. La première a à voir avec les naissances hors-mariage qui constituaient 10,3% de la totalité des naissances en Grèce en 2017 et représentaient le taux le plus bas dans l’UE-28. Dans d’autres pays européens ce taux dépassait 50% (Pays-Bas, Danemark, Suède, Portugal, Norvège, Estonie, Slovénie, Bulgarie, France, Islande). La deuxième différence concerne l’infécondité finale des femmes. Ici les choses sont inquiétantes. Il s’agit d’un phénomène qui se développe en pleine vitesse. Parmi les femmes nées en 1965, 16,3% n’ont eu aucun enfant, tandis que pour les femmes nées en 1960 ce taux était relativement moins élevé (10,3%). L’augmentation de l’infécondité en Grèce est liée à une diminution du taux des femmes qui avaient seulement un enfant. Il est très probable qu’entre les femmes qui sont nées dans les années 1970 et 1980, l’infécondité totale augmentera à cause de la mauvaise conjoncture économique et autres facteurs liés par exemple à l’égalité des sexes, la difficulté d’insertion dans le marché du travail, etc.
 
European Communities 2003 Photo Alain Schroeder
European Communities 2003 Photo Alain Schroeder.

L’étude récente de diaNEOSIS examine la corrélation entre fécondité faible et crise économique. À quel degré les mutations de la fécondité durant la période récente s’apparentent à des mutations analogues dans des crises passées?

Les périodes de crise économique vont souvent de pair avec des périodes de modération et de diminution de la fécondité. Toutefois, chaque période doit être examinée par rapport aux conditions économiques et sociales – démographiques particulières. Par exemple, la grande dépression des années 1930 aux États Unis avait eu des résultats négatifs pour la fécondité. On a observé un retard et une diminution du nombre des naissances pendant longtemps. De plus, la crise a eu lieu pendant une période où d’un côté on avait une forte fécondité (plus de 2,5 enfants par femme) et de l’autre côté, celle-ci était en baisse depuis deux décennies à cause de la diffusion de la contraception.

En Europe, les effets sont modérés et influencés selon la générosité des systèmes d’aide sociale et les réactions de chaque pays. L’augmentation relative du nombre des naissances au début des années 2000 a été brusquement rompue par le commencement de la crise économique et financière. L’augmentation de l’inégalité et les taux élevés de chômage parmi les jeunes et les femmes figurent parmi les facteurs les plus importants de la diminution des naissances. Dans ce contexte, la fécondité a commencé à diminuer drastiquement et est restée en dessous de 1,5 enfants par femme dans des pays comme la Grèce.

Votre enquête fait largement référence au cas du “piège à faible fécondité”. Quels sont les mécanismes principaux qui déterminent ce phénomène?

La conjoncture démographique en Grèce, ainsi que dans la plupart des pays de l’Union Européenne, est caractérisée en tant qu’une “Deuxième Transition Démographique”. Il s’agit d’une approche qui tient en tant que donnée irréversible les fluctuations de la fécondité sous le niveau nécessaire pour le remplacement des générations (2,1 enfants par femme). En même temps, elle offre une grille d’analyse de nouveaux comportements démographiques (par exemple, partenariat et naissances hors-mariage). Il est en plus suggéré que si la fécondité diminue en dessous d’un niveau spécifique (1,5 enfants par femme) et reste ainsi pour une longue durée, comme par exemple en Grèce, ceci implique un type de changement qui s’autoalimente (Piège à Faible Fécondité) et qui peut par la suite être difficilement inversé. Ceci fonctionne de la manière suivante: à cause d’un précédent de faible fécondité, il y aura moins de mères potentielles dans le futur. Il est évident que moins de femmes donneront naissance à moins d’enfants. Ceci engendre des changements de valeurs sociales et des nouveaux modèles familiaux (par exemple, une plus petite taille réelle et, par conséquent, idéale de la famille). En même temps les jeunes, surtout pendant la période de la crise économique, n’ont pas les moyens de satisfaire leurs attentes économiques et leurs attentes de consommation, et trouvent la solution en ayant des enfants à un âge plus avancé. Il s’agit là de la cause principale de la faible fécondité (en Grèce aussi), c’est à dire un report des naissances jusqu’à ce que le climat économique s’améliore.

À un niveau de faible fécondité survient alors une accélération cumulative des mécanismes mentionnés en créant exactement un piège très difficile à surmonter. N’oublions pas que la Grèce se trouve dans le piège à faible fécondité depuis 1987/8 (à peu près trente ans).

European Communities 1997
European Communities, 1997.

La situation démographique d’une société concerne directement la position et les droits des femmes. De quelle manière les politiques de soutien de la fécondité doivent prendre en compte tant l’aspect biologique avec ses propres règles que le droit des femmes de disposer de leur corps à des fins reproductives?  

Même si la réponse pourrait être beaucoup plus complexe, je me référerai à l’approche dans laquelle domine la question de l’égalité des sexes et le changement du rôle des femmes dans la société et les institutions dans le contexte d’une Deuxième Transition Démographique. Tandis que dans certains pays les femmes reçoivent de meilleures options et occasions d’emploi, toutefois il existe des inégalités de sexe dans le marché du travail qui sont causées par la procréation et l’interruption d’emploi. En d’autres mots, les femmes reçoivent une “peine de maternité” (motherhood penalty). Dans d’autres cas cependant, l’augmentation du niveau d’éducation des femmes a conduit à une demande pour une égalité plus essentielle au sein dunoyaufamilialétroit. Toutefois, le cadre institutionnel en vigueur peut servir de composante majeure pour obtenir des tendances positives à la hausse, comme par exemple dans les pays scandinaves et en France, làoù les familles reçoivent une aide sociale renforcée, surtout sous la forme de services d’accueil d’enfants et congé parental “obligatoire” pour les pères (principalement dans les pays scandinaves), et où est implémenté un dosage de politiques général qui soutient l’égalité et l’emploi des femmes. Ceci a pour résultat un taux élevé d’activité économique des femmes dans ces pays ainsi qu’un taux élevé de fécondité. De plus, l’égalité se rapporte aussi à d’autres éléments importants, comme par exemple la protection élevée et la condamnation de la violence contre les femmes, leurs droits reproductifs, etc.

Au contraire, dans des pays comme la Grèce, où la famille détient un rôle principal (dans la garde des enfants) et sont renforcées du point de vue des institutions et des valeurs les politiques qui soutiennent des rôles traditionnels pour les sexes, le conflit entre, d’un côté, des nouveaux rôles, occasions et possibilités pour les femmes et, de l’autre côté, la “peine de maternité” et l’inégalité dans les relations des sexes dans le foyer poussent les femmes à reporter et/ou même renoncer totalement à la procréation.

hands pexel
Photographe: PixaBay (Source: Pexel.com).

Les politiques d’allocations peuvent-elles constituer une réponse intégrée à la faible fécondité en Grèce?

Les politiques modernes se sont différenciées par rapport à la politique d’allocations unidimensionnelle, qui est considérée inefficace et clientéliste. Une tendance répandue dans les pays de l’Europe est l’usage d’un dosage de politiques qui met le point sur la conciliation de la vie professionnelle et familiale et l’encouragement personnel à l’emploi. Ce ciblage représente un type spécial de politique pour la famille, au sens que les deux parents sont encouragés de plus en plus à être économiquement actifs, tandis que sont limités les obstacles à la garde des enfants. Il se peut qu’à la longue durée cela constitue la méthode et la meilleure stratégie pour l’amélioration de la fécondité. Les exemples de la France et de quelques pays scandinaves démontrent que ceci n’est pas impossible. Il requiert un dosage de politiques et de motivations qui sont offertes par l’État et des mesures institutionnelles qui permettent aux mères de rester dans la main-d’œuvre et d’assurer leur propre revenu.

Les politiques accordent aussi de l’importance au rôle de la paternité. Par exemple, le modèle traditionnel d’aides en Allemagne (allocation d’une aide unique), avait habituellement pour bénéficiaires “traditionnelles” les mères qui étaient celles qui s’occupaient des enfants à la maison – souvent parce qu’elles recevaient des salaires moins élevés. Maintenant, le système de congés parentaux offre aux deux parents le même droit aux deux tiers de leur revenu précédent tant qu’ils se trouvent en congé parental. C’est une politique faisant partie d’une législation innovante qui fournit une plus grande flexibilité à la famille quant à la distribution en son sein des responsabilités pour la garde du nouveau né. Comme il est même souligné, cet élément est particulièrement important au moment où il s’agit de prendre la décision d’avoir un premier ou un deuxième enfant, surtout quand il s’agit de deux parents qui travaillent et/ou de parents de classe moyenne. Parallèlement à ces développements, on observe une amélioration de l’accès aux services qui concernent les droits sociaux des enfants (par exemple, éducation préscolaire et autres services d’éducation, ainsi que services de Santé) et mettent l’accent sur les responsabilités des parents, en prévoyant des obligations économiques particulièrement élevés pour les pères. Ceci a eu pour résultat un taux de fécondité en hausse qui a atteint 1,59 enfants par femme en 2016 en Allemagne (une telle valeur pour cet indice était apparue en 1982 la dernière fois). 

Pour la Grèce il faut une politique intégrée et efficace. Il ne faudrait pas qu’elle soit unidimensionnelle (consistant en allocations ou clientéliste), mais qu’elle repose sur une série de mesures selon le principe de l’égalité des sexes, avec des buts concrets et des estimations de coût mais aussi d’évaluation et d’observation continuelle des conséquences attendues. Et ceci du fait que, mis à part l’estimation des conséquences et la taille de l’impact des politiques, ce qui importe en fin de compte est leur impact symbolique et la manière dont elles sont perçues par les parents.

* Propos recueillis et traduits du grec par Dimitris Gkintidis | GreceHebdo.gr

[L’interview est aussi disponible en anglais sur Greek News Agenda ici]

 

TAGS: Grèce | politique