Liés par leurs écrits, l’admiration mutuelle et leur engagement politique, Yannis Ritsos et Louis Aragon, les deux grands poètes de la Grèce et de la France, ne se sont rencontrés qu’une seule fois, plusieurs années après leurs échanges poétiques.
Yannis Ritsos
Le poète Yiannis Ritsos (né Ioánnis Rítsos) est né à Monemvasia en Laconie le 1er mai 1909, et il est mort le 11 novembre 1990 à Athènes.
Le cadet d’une famille de propriétaires terriens, Ritsos a subi de lourdes pertes lorsqu’il était enfant: ruine économique de la famille, la mort prématurée de sa mère et de son frère aîné de la tuberculose, les luttes de son père contre la démence marquent sa vie et sa poésie. Ritsos lui-même se soigna dans un sanatorium pour tuberculose de 1927 à 1931. Sa première collection a été publiée en 1934. En 1946, la Guerre civile débute en Grèce, et Ritsos soutient le Front de Libération Nationale (EAM) dont il est membre, contre les Allemands, et intensifie son engagement politique.De 1948-1952, il est incarcéré dans les Camps de Rééducation de Lemnos, Agios Efstrátios et Makronissos, en exil.
Sous la
pression internationale, menée entre autres par Louis Aragon et Pablo Neruda, le Ritsos est libéré en 1952. Après plus de vingt années de troubles, Ritsos accède enfin à une période de reconnaissance et de calme. Il a écrit de nombreux poèmes. La “
Sonate au Clair de Lune” a remporté le prix national de la poésie.
En 1966, il publie
Grécité (Ρωμιοσύνη, Romiosini), un chant rendant hommage à la résistance des guérilleros communistes pendant l’invasion nazie.
En 1967, avec la
dictature des Colonels, une période noiresuit de nouveau, où lemilitantisme et l’engagement social de Ritsos sont les causes d’un autre emprisonnement, et sa poésie
est interdite en Grèce. Pendant cette période d’incarcération, sa santé se dégrade. Il commence à souffrir du cancer. De 1967 à 1970,il est tenu reclus à
Gyaros et Leros, il écrit tout en étant surveillé par des soldats armés. Mais il ne désespère pas de cette situation, au contraire, il déjoue la censure et écrit plusieurs séries de poèmes, toujours en cachette, regroupés sous le titre
Pierres, Répétitions, Grilles (aussi connu comme “
Pierres, Répétitions, Barreaux”, qui sera préfacé par Louis Aragon et publié à Paris en 1971.
Louis Aragon
Louis Aragon est un poète et journaliste français, né le 3 octobre 1897 à Paris et mort le 24 décembre 1982, âgé de 85 ans. Il est également connu pour son engagement et son soutien au Parti communiste français de 1927 jusqu’à sa mort. Aragon fut un des représentants du
dadaïsme parisien et du surréalisme, avec André Breton, Paul Éluard, parmi d’autres.
Appelé par son parti en mars 1937, Aragon lance le nouveau quotidien
Ce Soir qu’il dirige. Mais l’éviction des ministres communistes et les débuts de la guerre froide vont remettre peu à peu en cause l’existence du journal, dont l’administration est jumelée à celle de
L’Humanité en 1947. En mars 1953, Aragon devient directeur du supplément littéraire de L’Humanité, Les Lettres françaises, au lendemain de la disparition de
Ce soir.
Publié dans les Lettres françaises (semaine du 28 février – 6 mars) en 1957, à propos de Yiannis Ritsos, Aragon écrit: “Il
faut savoir saluer Ritsos, et le dire très haut, c’est un des plus grands et des plus singuliers parmi les poètes d’aujourd’hui. Pour ma part, il y avait longtemps que quelque chose ne m’avait donné, comme ce chant, le choc violent du génie.”
À partir de la fin des années 1950, nombre de ses poèmes ont été mis en musique et chantés (par Léo Ferré et Jean Ferrat notamment), contribuant à faire connaître son œuvre poétique. Il a été nominé pour un prix Nobel de littérature à quatre reprises entre 1959 et 1965.
En 1991, la Poste française a émis des
timbres en honneur de Louis Aragon.
Ritsos et Aragon: un hommage mutuel
Yiannis Ritsos et Louis Aragon ne se sont rencontrés qu’une seule fois
à Athènes. en 1980. Mais la France a soutenu le poète grec lors de son emprisonnement sous l’influence d’Aragon, le qualifiant de plusgrand poète vivant. D’ailleurs, Ritsos est parfois appelé «
l’aragon grec » dans la littérature française, et il était
très attaché à la France, la considérant comme sa “sœur bien-aimée”.
Les poètes se couvrent mutuellement d’éloges et se rendent mutuellement hommage. Ritsos composa une admirable
Lettre à la France, qu’il a lue au cours d’une manifestation au Champ de Mars d’Athènes (Pedíon tou Áreos), le 14 juillet, 1945, et dont l’ampleur fut profonde en France. Au cours d’une réunion franco-grecque en 1946 à Paris, Pierre Blanchard fait une
inoubliable lecture de “Lettre à la France”.
Dans sa salutation à Ritsos, “Les Lettres françaises”, Aragon écrit : “Ritsos est un vibrant ami de la France, de ses livres, de ses messages de progrès”. Dans la préface de Pierres, Répétitions, Grilles (1971), Aragon dit :
“Tout se passe comme si ce poète avait le secret de mon âme, et qu’il sût, seul, vous m’entendez, seul, me bouleverser ainsi. Je ne savais pas d’abord de lui qu’il était le plus grand poète vivant de ce temps qui est le nôtre. Je l’ai appris par étapes, d’un poème à l’autre, j’allais dire d’un secret à l’autre.”
La rencontre historique
Le 12 octobre, 1980, Louis Aragon visite Athènes pour une semaine. Le jour de la rencontre historique des deux poètes, le 14 octobre, on lit le titre dans le journal quotidien grec Rizospastis, édité par le parti communiste grec est: “Un esprit poétique vigilant et progressiste”.
La journée de leur rencontre, Aragon déclara dans son entrevue avec le quotidien : “Ritsos est l’homme avec lequel j’ai été lié par ses poèmes sans l’avoir encore rencontré personnellement à l’époque où il a été persécuté. Ritsos est sans aucun doute un grand Grec.”
Nicole Stellos | GreceHebdo.gr
M.V.