L’Intelligence Artificielle alimente craintes et fantasmes, mais quelles seraient vraiment les conséquences d’une telle création sur le marché du travail ? Cinq spécialistes, français et grecs, se sont réunis le 23 février 2018 pour répondre à cette question lors d’une soirée débat à l’Institut Français de Grèce.
L’Intelligence Artificielle, vers une Quatrième Révolution Industrielle
Nombreux sont ceux qui voient les avantages que l’Intelligence Artificielle pourraient apporter au marché du travail. Un agriculteur pourrait suivre les analyses d’un drone pour savoir quel serait le moment propice pour arroser ou récolter. Un médecin pourrait être plus rapide et efficace si les résultats d’une radiologie étaient pré-analysés et les pronostiques pré-établis. La décision d’un juge pourrait également être plus facile à prendre si un algorithme calculait les probabilités de culpabilité d’un accusé.
Certains entrepreneurs se tournent ainsi vers l’Intelligence Artificielle car, en plus de proposer plus de rapidité, performance et efficacité au travail, elle pourrait, selon eux, être une solution à la crise économique, notamment en Grèce où elle sévit particulièrement. Christos Ioannou, directeur du Département Emploi et Marché du Travail au SEV, indique même, en parlant de la Grèce, que « nous avons fait faillite puisque nous ne nous sommes pas engagés sur ce terrain ». L’Intelligence Artificielle aiderait ainsi à vaincre la crise présente depuis 2008 si les entreprises et PME grecques engageaient des travailleurs compétents dans les nouvelles technologies. Ceci créerait plus d’emploi, et, comme le dit Christos Ioannou, le pays pourrait être impliqué dans «une quatrième Révolution Industrielle ».
Néanmoins la Grèce en est encore au stade primaire pour ce qui est de l’Intelligence Artificielle. Puisque le pays ne bénéficie pas d’effectif humain assez qualifié, les entrepreneurs souhaitent motiver les jeunes à se former dans ce domaine. Professeur de l’Université d’Athènes, Manolis Patiniotis déclare que les jeunes doivent être orientés le plus tôt possible vers les métiers de demain puisqu’il est nécessaire qu’ils sachent travailler avec les réseaux, les machines et les chiffres. Les compétences transversales dans les Sciences Humaines sont également importantes mais ne sont pas suffisantes pour l’ampleur du projet. « Les grecs doivent s’engager et ne pas concevoir l’Intelligence Artificielle comme de la Science Fiction », précise t-il. Selon les analyses, ce dispositif révolutionnaire apparaît à un moment où le marché du travail change et évolue, et pourrait créer de l’emploi lors de la création de ces futures machines.
En attendant la spécialisation des jeunes, le rôle des managers est primordial pour bien former son équipe ou faire venir sur son territoire des personnes qui sont déjà spécialisées. Le président de l’Institut Boostzone, Dominique Trucq, parle ainsi de « management augmenté » pour montrer que les patrons doivent être capables de collaborer avec leur équipe, faire leur possible pour rester au niveau, et rendre les entreprises les moins technophobiques afin qu’ils investissent dans ce projet.
Pour ce qui est de la France, des formations existent mais peinent à avoir de l’impact. Certaines entreprises françaises se sont engagées, mais les PME restent en retrait. Néanmoins, les géants Google et Facebook voient la France comme un terrain de prédilection pour l’Intelligence Artificielle. En effet, Facebook va augmenter le nombre de scientifiques dans son centre de recherche pour l’Intelligence Artificielle à Paris, et Google va, de son côté, construire son propre centre dans la capitale française, ce qui créera ainsi beaucoup d’emplois. De nombreuses recherches restent à mener mais des personnalités, comme le célèbre mathématicien Cédric Villani, indiquent l’urgence pour la France de s’engager dans cette technologie.
Un projet au centre de l’éthique
Malgré toutes ces ambitions, Dominique Turcq, rappelle que les comportements des algorithmes sont approximatifs. A ce jour, nous ne pouvons que émettre des hypothèses, les conséquences de l’Intelligence Artificielle étant encore très incertaines. Il précise ainsi qu’« il y a de grandes possibilités au long terme, néanmoins nous n’avons pas la mesure des effets au court terme ».
Des questions d’éthique subsistent encore. Andreas Caracostas, manager de l’entreprise Accenture, donne un exemple parlant : « Si une voiture intelligente sans conducteur est mise en service et qu’une personne décide de traverser la rue sans prévenir, que choisira de faire la voiture ? S’écraser contre le mur ou renverser le piéton ? ». La question est importante pour l’avenir mais reste pour le moment sans réponse.
Concernant le monde de la justice, des questions de responsabilité se posent aussi. Un juge doit-il suivre totalement le verdict d’un robot ou doit-il garder son sens critique ? S’il ne suit pas l’avis de la machine intelligente, et qu’il a tort, l’accusera t-on de ne pas avoir pris en compte l’avis de la machine ?
Les participants démontrent donc l’importance de l’humain dans les décisions afin qu’il conserve sa liberté, même s’il utilise l’Intelligence Artificielle comme outil pour faciliter son travail et améliorer ses performances. Hervé Monange, secrétaire du Conseil d’orientation pour l’Emploi, rappelle également qu’être en contact avec des personnes, plutôt que des machines à la ressemblance humaine, est encore essentiel pour notre société.
Les ambitions concernant ce projet pourraient néanmoins bien voir le jour puisque les compétences de ces machines ont été prouvées : grâce à l’apprentissage dirigé, l’algorithme qui apprend de lui-même, est déjà arrivé à devancer en trois jours le champion du monde du jeu de stratégie AlphaGo. Certains voient ainsi la possibilité d’obtenir les mêmes résultats sur le marché du travail et revendiquent ainsi « non pas la guerre, mais une alliance de la technologie et de l’humain ». Une alliance, qui pourrait, au court terme, être la solution des problèmes actuels, mais qui reste incertaine au long terme, notamment en ce qui concerne les conséquences concernant la place de l’homme dans la société.
Johanna Bonenfant |Grecehebdo.gr