Tériade, de son vrai nom Stratis Eleftheriadis, né à Mytilène en mai 1897 et décédé à Paris en octobre 1983, a été un critique d’art et éditeur d’ouvrages d’art. Αyant quitté Lesvos pour Paris à l’âge de 18 ans, Tériade fonde en 1937 sa propre maison d’édition Verve qui publie la revue trimestrielle du même nom. A sa publication réunit les noms les plus illustres de la littérature, de la peinture et de la sculpture. Tériade collabore, entre autres, avec Bonnard, Matisse, Georges Braque, Picasso, Chagall, Fernand Léger, Miró. Juste avant sa mort, un musée consacré à son œuvre est ouvert en 1979 dans le faubourg de Varia, Mytilène. Les livres de l’éditeur y sont exposés dans les six pièces sur deux niveaux du bâtiment spécialement construit pour accueillir le musée.
Picasso et Tériade à Cap Ferrat.
A 18 ans, Tériade quitte Lesvos pour Paris où il étudie le droit, sans pour autant cesser de penser à la peinture, à laquelle il s’était adonné lui-même pendant son adolescence. Au contact des milieux artistiques parisiens, son intérêt pour la peinture prend une forme plus approfondie qui le conduit à la critique de l’art. C’était le début de l’époque de l’Art Moderne et Tériade entre peu à peu dans le cercle des créateurs d’avant garde. Il collabore avec les plus grands noms de l’édition d’Art de l’époque, comme Christian Zervos (fondateur des Cahiers d’art) et Albert Skira pour ne citer qu’ eux, pour l’édition des livres, journaux et revues d’art.
Tériade (à gauche) avec Henri Matisse.
Le documentaire grec TERIADE qui vient de paraitre sur la vie et l’œuvre du légendaire Stratis Eleftheriadis Tériade fut l’occasion d’interviewer le metteur en scène, Simos Korexenidis*. Ce dernier est né à Drama. Il est diplômé de l’école de cinéma Stavrakou. Il a travaillé comme assistant réalisateur dans des séries télévisées, des publicités, des courts métrages, des longs métrages grecs et étrangers, des clips vidéo. Il est connu pour les films : C’est la mer (court métrage, 1990), Kavala, a port, a city (documentaire pour TV5, Marseille France, 1995), Adieu (court métrage, 2001), Mercedes (court métrage, Prix de qualité d’état, 2004), Marina Valieri, la petite nièce de Kavafy (documentaire, 2011) Une danse encore (court métrage, 2012).
Albero Giacommetti avec Tériade.
Quelle a été votre première connaissance avec Tériade? Qu’est-ce qui vous a poussé à créer le documentaire ?
Un article paru au journal local « Politika Lesvos » de mon amie Varvara Gigilini, décrivant les difficultés financières et la négligence des deux musées, a été à l’ origine de ce documentaire. Ce que nous voulions faire, il y a près de huit ans, était quelque chose de court, une vidéo de cinq minutes, afin de sensibiliser les autorités municipales de Lesbos et l’État pour les musées, Théophilos et la bibliothèque-musée Tériade.
Mais au fur et à mesure que nos recherches se sont développées, plus nous avons découvert cette personne merveilleuse et intelligente, et c’est pour cette raison que nous avons pris la décision de faire quelque chose de plus long et élaboré. Nous avons donc commencé notre documentaire et nous avons parcouru un long chemin pour arriver à la fin de cet effort. Et tout cela au cœur de la crise qui a multiplié nos difficultés même si les mots encourageants et les “bravo” étaient au rendez-vous. Jusqu’à ce que ce soit fini, six ans ont passé et c’est vraiment beaucoup pour un tel projet. Force est pourtant de constater qu’ils ne partagent pas tous ni ton intérêt, ton amour ni ton rêve si tu veux, et cela c’est connu. Nous avons affirmé que nous devrions essayer de mettre en évidence la grande offre de cet homme envers sa patrie. Des gens d’un certain statut socio-politique et des collaborateurs «intéressés» ont juste vu dans tout cela une occasion pour l’utilisation du nom de Tériade et de tout gain financier futur qui en résulterait. Nous les avons mis de côté et nous sommes allés de l’avant.
La route n’était pas facile. Souvent, je disais que je laisserais tout tomber. Fatigue, recherche constante, beaucoup de lecture et de frustration, des conciliations avec les gens indifférents, mais aussi la stagnation. Nous avons réussi à le terminer et à assister à la première présentation au Festival du documentaire de Thessalonique. Grande joie sans aucun doute et en ce qui me concerne une victoire personnelle et rédemptrice. Une chose très importante envers un homme qu’on lui doit beaucoup. Ça valait le coup.
Quels sont les principaux axes de l’histoire de Tériade que vous avez soutenus dans la création du film ? Quels sont les aspects de sa vie que vous voulez le plus montrer ?
Sa propre vie a déterminé mon axe central, puisque je voulais faire un portrait personnel et artistique de Tériade, c’est-à-dire, en regardant le documentaire, que quelqu’un puisse comprendre qui était cet homme.
Le choix des personnes qui ont parlé dans le documentaire – et je suis très heureux de la participation de tous- était exactement ce que je voulais montrer. Amis et connaissances parlent de moments personnels révélant des éléments de son caractère et des détails de sa vie quotidienne, critiques d’art, artistes, directeurs de musée et muséologues peuvent se référer à son travail artistique et éditorial et sa signification.
Tériade est un personnage très important dans l’histoire culturelle de la Grèce, et il est scandaleux que cet homme, si célèbre et honoré dans le monde entier, soit si absent, même aujourd’hui, de sa patrie. Même s’il était le critique d’art et éditeur renommé de magazines d’art (VERVE, Minotaure).
Et même si c’est l’homme que a fait sortir notre peintre folklorique Théophilos… Il faut noter que Tériade a été l’ami de Picasso, Matisse, Miro, Chagal, Jiacometti, Léger, Juan Gris, Le Corbusier, Georges Rouault, Braque, Elytis, Eluard, Millau, Tsarouchis, N.H Ghikas, Venezis, Laurens, Breson, Bonnard, Villon, Brassai et certains des plus grands noms de la littérature ont écrit dans ses magazines tels que Joyce, Lorca, Hemingway . Par ailleurs, il a été honoré par l’Académie française en tant que “Chevalier des Arts” et il a fondé et donné en cadeau deux musées à Lesvos, à savoir le Musée “Théopfilos” et celui ayant comme nom “Musée-Bibliothèque Tériade”.
Couvertures de la revue VERVE avec des dessins originaux de Bonnard, Matisse, Braque, Picasso.
Pour vous, personnellement, quels sont les éléments qui vous inspirent dans le cas de Tériade ?
Premièrement, je pense que cet amour sans limite pour la terre rapiécée est ce qui me submerge. Ce besoin d’être lié, littéralement et métaphoriquement, à sa patrie. D’ où la fondation de ses musées sur son domaine “Varia” sur l’île de Lesvos comme preuve incontestable de son attachement à ses racines.
Deuxièmement, le fait qu’il aimait l’art avec passion et que, portant son éducation ancestrale, il a pu intégrer la philosophie grecque et européenne dans son travail. Stratis Eleftheriadis Teriade était un homme super intelligent. J’aurais aimé pouvoir être présent quand il parlait avec Picasso, ou mon préféré, Miro, avec Coco Chanel, avec Lorca, avec Henry Cartier Bresson ou avec son ami psychiatre Angelos Katakousinos, où un échantillon de conversation, par ex. pourrait être même une phrase de la lettre d’Elytis à Tériade, qui lui écrit: «Les prix – si vous mettez de côté le côté matériel- sont parfois oubliés. Ce qui reste est la pièce que vous pourriez incorporer dans la tradition de votre pays et de votre peuple.
Ou quand Tériade dit ailleurs: “L’homme qui parle de l’art de son temps, l’art en cours, trace minutieusement sa piste, une piste sombre ou authentique, entre le magnifique pouvoir de la divination et son esprit fragile des affaires courantes”. Eh bien, quelle personne ne voudrait avoir de la chance de participer à l’échange de telles pensées?
La revue Minaotaure. A gauche: couverure d’André Derain (no 3-4, 1933), à droite: Joan Miró, Minotaure (no 7, 1935).
En général, comment voyez-vous la production contemporaine de documentaires en Grèce ? Pensez-vous qu’il y a un changement vers le genre et si oui, pourquoi ?
Oui, bien sûr, il y a beaucoup de floraison dans le documentaire, parce que les appareils photo numériques sont maintenant si faciles et économiques que vous pouvez toujours avoir une petite caméra qui vous donne une belle image et un bon son pour chasser un thème et une idée.
Certainement, il y aura des amis pour aider. Après un ordinateur portable, allez à l’édition, puis, en fonction de ta situation financière, tu te bats pour un raffinement plus professionnel, disons. Il y a aussi beaucoup plus d’endroits où les documentaires peuvent être projetés. Non seulement la télévision publique (la télévision privée n’a d’ailleurs jamais été intéressée par la culture) mais ce sont les chaînes de télévision avec abonnement et l’Internet qui permettent d’accéder facilement à l’information même depuis les mobiles.
Le metteur en scène du documentaire “TERIADE” Simos Korexenidis.
Le cinéma grec trouve son chemin vers les festivals et événements internationaux au cours des dernières années. Pourquoi pensez-vous que cela se passe?
Je répondrai par une déclaration de Tériade: “VERVE (le magazine) est né en décembre 1937. En période d’agonie, de telles choses se produisent. Quand il y a de grandes crises. Quand nous sommes vraiment désespérés et nous n’avons rien à perdre. Ou plutôt, nous avons peur que tout soit perdu en attendant le désastre… Alors à ce moment précis tout le monde est capable d’agir voire d’agir avec passion “.
Cette angoisse que nous voyons en tant que personnes et en tant que peuple, je pense qu’elle traverse nos films et nos documentaires, où les autres peuples peuvent facilement ou inductivement reconnaître leurs propres questions ou des questions globales. D’ailleurs, tout ce qui est profondément personnel est en même temps global. Je suis très heureux que mes amis et collègues trouvent le chemin et montrent leur travail dans les festivals internationaux (et le marché correspondant en conséquence) et montrent ainsi un échantillon de notre culture. J’espère et j’attends voir “TERIADE” à Paris. Ce serait un grand honneur et un vrai plaisir.
* Interview accordée à Magdalini Varoucha (traduction du grec: Nicole Stellos)
M.V.