Né en 1971,
Loïc Marcou est professeur de lettres et traducteur littéraire, docteur en littérature grecque moderne à l’université de Paris-Sorbonne (2014) et lecteur pour le
Centre National du Livre. Il est enseignant de lettres modernes dans l’enseignement secondaire et chercheur post-doctorant associé au Centre de recherches Europes-Eurasie (CREE) à l’Inalco et membre de l’Association internationale des chercheurs en « Littératures populaires et culture médiatique » (LPCM).
Loïc Marcou a traduit plusieurs écrivains grecs dans des revues telles que
Siècle 21,
Cahiers balkaniques,
Revue d’Histoire de la Shoah. Il a également traduit deux pièces de théâtre de dramaturges grecs figurant dans le Panorama des écritures théâtrales de la Grèce contemporaine (de la dictature à la crise : 1965-2014). Ce panorama est publié aux éditions “L’Espace d’un instant” sous la direction d’Olivier Descotes et de Myrto Gondicas.
Loïc Marcou a répondu aux questions de GrèceHebdo*
Vous êtes un passionné de la langue et la littérature grecques. Qu’est-ce qui vous a poussé vers la découverte de la Grèce et de sa langue ? Qu’est-ce que ce pays représente pour vous ?
Ma passion pour la Grèce remonte à mes années d’adolescence, lorsque j’ai eu la chance de visiter ce pays avec mes parents à l’âge de treize ou quatorze ans. Je me souviens que j’avais été alors ébloui par l’âpre beauté du Péloponnèse et par la lumière étincelante du ciel grec. Dix ans plus tard, j’ai eu l’occasion extraordinaire de travailler en Grèce en tant que professeur de français au lycée Léonin de Néa-Smyrni et à l’Institut français d’Athènes. C’est à ce moment-là, vers la fin des années 90, que je me suis mis à l’apprentissage du grec moderne : cet apprentissage a été un peu chaotique au début – j’ai beaucoup appris dans la rue en écoutant les conversations des gens et en répétant tant bien que mal leurs propos pour me familiariser avec la musicalité de la langue – et beaucoup plus systématique ensuite. De retour en France après mes deux années de service en coopération, je n’ai eu de cesse de retourner en Grèce dès que j’en avais la moindre occasion. Je crois que Paris-Athènes, l’autobiographie aux allures romanesques de Vassilis Alexakis, pourrait parfaitement résumer ma trajectoire pendant une bonne quinzaine d’années. Dès que retentissait la cloche des vacances – je suis enseignant de lettres depuis une vingtaine d’années et, comme tous les « profs », ma vie professionnelle est rythmée par la sonnerie de l’école –, je me précipitais dans le premier avion venu pour me rendre en Grèce. Ce que ce pays représente pour moi ? J’aime à citer cette phrase qu’André Malraux a prononcée dans son discours lors de la première illumination de l’Acropole le 28 mai 1959 : « Une Grèce secrète repose au cœur de tous les hommes d’Occident ». Comme le disait magnifiquement Malraux, j’ai moi aussi l’impression qu’une Grèce secrète repose dans mon cœur d’homme occidental et qu’elle ne cesse de s’adresser à lui. Ce propos est sans doute un peu mièvre ou trivial mais il résume bien ce que la Grèce représente pour moi : non seulement ce « berceau de la civilisation occidentale » selon la formule consacrée, mais aussi cette référence constante pour l’homme d’Occident que je suis. Pourtant, si, comme tant d’autres Européens, je suis guidé par les valeurs de la Grèce antique – notamment par la valeur que je place au-dessus de toutes les autres, la démocratie –, mon intérêt se porte surtout sur la Grèce moderne, son histoire, sa langue, sa littérature et sa culture au sens large.
Vos recherches portent surtout sur le roman policier grec. Est-ce que vous y reconnaissez quelques similarités ou singularités par rapport à la littérature policière française ?
Mes recherches portent effectivement pour une bonne part sur le roman policier et populaire grec mais aussi sur ce que l’on appelle les « transferts culturels », autrement dit le passage d’un objet culturel d’un contexte dans un autre. J’ai en outre effectué un post-doctorat à l’EHESS sur les
représentations de la Shoah dans la littérature néo-hellénique de 1945 à nos jours. À cette occasion, j’ai découvert les témoignages littéraires d’écrivains grecs comme
Dimitris Chatzis,
Georges Ioannou,
Vassilis Vassilikos,
Nikos Kokantzis,
Nikos Bakolas,
Albertos Nar, etc. Cette nouvelle recherche m’a ainsi permis de me familiariser encore plus avec la littérature néo-hellénique et avec l’histoire de la Grèce moderne. Pour l’heure, je me penche aussi sur certains écrivains « rums », autrement dit des auteurs grecs originaires de Turquie. Outre
Pétros Markaris que j’ai étudié dans le cadre de mon doctorat, je m’intéresse à l’œuvre de
Fotis Kontoglou.
Ilias Vénézis, qui est originaire d’Aïvali comme Kontoglou, fait aussi partie de mes auteurs de prédilection du moment.
Pour revenir à votre question sur le roman policier grec, on peut distinguer de nombreuses similitudes avec le roman policier français. N’oublions pas que
Yannis Tsirimokos (1916-1979), le père fondateur du roman policier grec, plus connu sous son pseudonyme de
Yannis Maris, a trouvé son nom de plume en référence à la France. Comme le traducteur et écrivain
Andréas Apostolidis l’a suggéré, Maris est sans doute une version hellénisée de Mary, de
Jules Mary (1851-1922), un auteur de romans feuilletons un peu oublié aujourd’hui mais très connu en son temps, en France comme en Grèce – nombre de ses romans ont été traduits en grec dans des revues ou des journaux athéniens dès la fin du XIXe siècle. En outre, Yannis Maris est influencé par Georges Simenon qu’il a peut-être lu en langue originale (comme la plupart des gens de lettres ou des journalistes de son temps, Maris maîtrisait parfaitement le français). Quand on voit évoluer le commissaire Békas, on peut s’empêcher de penser au
commissaire Maigret, à ce personnage de policier « bon père de famille » et débonnaire né sous la plume de Simenon ; quant à Evanthia Béka, elle n’est pas sans rappeler le personnage de Louise Maigret. Il serait pourtant erroné de dire que Yannis Maris est l’auteur d’une œuvre populaire placée dans l’ombre de la littérature française. En véritable créateur, Maris a su amalgamer certaines influences, notamment françaises, et faire œuvre originale en inventant un roman policier typiquement grec. Je pense notamment au scénario du trafic d’antiquités, qui est un leitmotiv dans sa production romanesque et qui est l’une des marques de l’hellénicité du roman policier grec. Ce qu’il y a de remarquable avec Maris, c’est qu’il parvient à implanter durablement un genre populaire qui n’existait pas avant lui en Grèce !
L’Ultime Humiliation, le dernier roman de Rhéa Galanaki (que vous avez traduit en langue française aux éditions Galaade), parle de la crise et des ruptures apparues au sein de la société grecque contemporaine. Pourriez-vous nous préciser ce qui vous a le plus touché dans ce roman ?
Plusieurs choses m’ont touché dans ce livre. J’ai tout d’abord été impressionné par la manière dont l’écrivaine parvient à transformer un sujet d’actualité très douloureux – la « crise grecque » – en œuvre littéraire. Ce qui me semble très beau dans ce texte, c’est ce qu’il ne s’agit pas d’une œuvre de circonstance, autrement dit d’un livre qui exploiterait l’actualité à des fins opportunistes ou partisanes. Bien au contraire, Rhéa Galanaki érige la « crise grecque » en tragédie des temps modernes en faisant d’Athènes une scène de tragédie à ciel ouvert. Elle recourt aussi aux thématiques qui lui sont chères depuis
La Vie d’Ismaïl Férik Pacha : le nostos et la nostalgie, ainsi que la quête identitaire – j’entends par là le rapport complexe qu’un personnage entretient avec lui-même et avec sa patrie. Comme Emmanuel/Ismaël dans
La Vie d’Ismaël Férik Pacha ou Hélène dans
Hélène ou personne, Nymphe et Tirésia, les deux héroïnes de
L’Ultime Humiliation, s’interrogent sur elles-mêmes et sur leur pays. Leur odyssée dans une Athènes en pleine ébullition peut ainsi être interprétée comme la métaphore d’un pays en crise, ballotté au gré des circonstances et hésitant entre la tradition européaniste et le repli hellénocentriste. Enfin, j’ai été touché comme bien d’autres par la beauté de la langue de Rhéa Galanaki, parfois si difficile à rendre en français !
Quelle est selon vous la plus grande difficulté en traduisant le grec pour un public francophone ?
Selon moi, la plus grande difficulté consiste non seulement à rendre le génie de la langue grecque tout en respectant la langue-cible – en l’occurrence le français – mais aussi à restituer l’implicite culturel contenu dans un texte littéraire. Je n’oublie pas, selon le mot d’Umberto Eco, que l’on ne traduit jamais mot à mot mais de monde à monde, autrement dit d’un univers culturel vers un autre. Faire passer les références culturelles contenues dans un texte littéraire : tel est, selon moi, le plus grand défi mais aussi la beauté du métier de traducteur.
Dans quelle mesure la littérature grecque contemporaine arrive-t-elle à accéder au public francophone? Comment faire connaître les écrivains d’une langue peu parlée comme le grec moderne ?
Cette question est complexe et il n’est pas facile d’y répondre en quelques lignes. Disons que la culture grecque moderne jouit d’un capital de sympathie important en France pour des raisons qui sont liées aux liens historiques très forts entre les deux pays. À cet égard, même si elle est parfois qualifiée de « périphérique », la littérature néo-hellénique est assez bien diffusée en France. Il faut dire aussi que cette littérature a pu compter sur des traducteurs aussi passionnés que talentueux. Citons rapidement, depuis le marquis Queux de Saint-Hilaire qui traduisit Vikélas et Vizyinos, Octave Merlier, André Mirambel, Jacques Lacarrière, Henri Tonnet, etc. Aujourd’hui, Michel Volkovitch est avec Lucile Arnoux-Farnoux, René Bouchet, Anne-Laure Brisac, Gilles Decorvet, Gilles Ortlieb et quelques autres (je ne peux pas tous les citer ici), l’un des « passeurs » de la littérature grecque en France. Pour répondre à votre deuxième question, je dirais que pour diffuser l’œuvre d’un écrivain grec en France, il faut avant tout bien la connaître en langue originale et, une fois convaincu de son importance, la proposer à un éditeur français avec de solides arguments à l’appui. Mais si le livre est bon, l’éditeur français se laissera facilement convaincre !
Pourriez-vous nous parler un peu de vos prochains projets : est-ce qu’ils porteront toujours sur la Grèce ?
Oui, mes prochains projets porteront évidemment sur la Grèce ! Je suis actuellement en train de traduire des nouvelles policières d’Andréas Apostolidis qui paraîtront avant l’été en version bilingue aux éditions “L’Asiathèque”. Je vais aussi me plonger dans la traduction d’un nouveau roman de Rhéa Galanaki, qui demeure l’une de mes auteures favorites. Enfin, il faut que je publie ma thèse sur le roman policier grec. Comme vous voyez, les projets ne manquent pas !
* Entretien accordé à Magdalini Varoucha
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