Mathilde Tournier est née le 16 août 1987 à Albi (Tarn) et a étudié les sciences politiques à l’IEP de Bordeaux et le journalisme à l’ESJ de Lille. Elle a publié (aux éditions Privat) une trilogie historique pour les adultes : “Entre deux feux” (2006), “De gré ou de force” (2009) et “La marque de Caïn” (2010). En 2017, “Décadence d’un déraciné” est publié aux éditions Les Éclairs. 
 
GreceHebdo* a interviewé Mathilde Tournier à propos de son premier roman historique pour les adolescents lycéens “Les révoltés d’Athènes” (paru en avril 2019 aux Éditions Gallimard Jeunesse), dans lequel on suit la vie d’un jeune citoyen athénien de 22 ans lors de la guerre du Péloponnèse entre Athènes et Sparte à la fin du Ve siècle avant J.-C.
Agora athens getty

Gravure d’époque Agora antique d’Athènes. Source: Getty Images – iStock / Getty Images Plus.

Qu’est-ce qui vous a poussé à écrire un roman pour jeunes adultes situé dans le contexte lointain de la Grèce Antique ?
 
À l’université, j’ai eu un professeur d’histoire ancienne qui m’a passionnée pour l’histoire de la Grèce antique. Jusque-là, j’étais plutôt « branchée » histoire contemporaine : j’étais curieuse de comprendre comment le monde dans lequel nous vivons aujourd’hui s’était transformé en si peu de temps. En me penchant sur l’Antiquité grecque, j’ai été étonnée de la proximité de certains aspects de la vie grecque antique avec nos sociétés contemporaines, et de la résonnance de certains événements avec l’actualité et l’Histoire récente. Outre exploiter un pan de l’Histoire riche et finalement assez méconnu et le faire connaître aux jeunes adultes, placer un roman dans l’Antiquité grecque était un moyen d’aborder des questions universelles et d’actualité telles que l’engagement, le sens de la vie ou encore la sexualité, importantes à aborder avec des jeunes.
 
Outre les questions de survie, la guerre du Péloponnèse soulève aussi des questions existentielles et politiques pour le jeune protagoniste de votre roman. Est-ce que le passage à l’âge adulte est aussi une sorte de « guerre » ?
 
Quelque part, oui ! Je ne connais pas grand monde qui ait traversé l’adolescence et le début de l’âge adulte comme un long fleuve tranquille… C’est l’âge où on se pose des tas de questions, où on vit ses premiers émois et ses engagements, avec un prisme de sentiments peut-être plus bruts, mais aussi plus intenses que lorsqu’on est plus mûr. Placer des grands adolescents / jeunes adultes dans un contexte de crise est un moyen « radical » pour observer ce basculement de l’enfance à l’âge adulte. En cela, “Les Révoltés d’Athènes” est un roman autant initiatique qu’historique.
 
Antique Map from 1862 of Ancient Greece during the Peloponnesian War
Carte de 1862 de la Grèce antique pendant la guerre du Péloponnèse. Source: dunkan1890, Getty Images – iStock / Getty Images Plus
 
Dans votre roman, des  questions personnelles comme la peur, l’amitié, la sexualité et le sens de la vie sont étroitement liées aux questions politiques et sociales. Pourquoi mettez-vous l’accent sur la participation politique et l’importance de la démocratie dans ce roman ?
 
Mes parents m’ont inculqué l’importance de développer des opinions et un esprit critique et de participer à la vie publique par le vote et l’engagement citoyen. J’ai aussi été très marquée par le récit de mes grands-parents qui ont vécu la Seconde Guerre mondiale, la captivité pour mon grand-père, l’Occupation pour ma grand-mère. Cette éducation m’a fait prendre conscience assez tôt des conséquences que les actions politiques peuvent avoir sur les citoyens, et j’ai pris la mesure de ma chance à vivre dans une démocratie, aussi imparfaite soit-elle. J’ai souvent déploré autour de moi le manque d’engagement et d’intérêt pour la politique, pas forcément que chez des jeunes. C’est aussi un sujet peu abordé en littérature jeunesse. J’avais à cœur de le développer.
 
Socrate est le philosophe qui pose les questions au jeune protagoniste. Croyez-vous que l’esprit critique peut apporter du confort à la complexité du quotidien ?
 
J’en suis persuadée. Je suis du genre à me poser des questions existentielles et j’ai longtemps pensé que ça rendait plus malheureux qu’autre chose, j’enviais les gens qui vivaient sans « prise de tête » ! Maintenant, je me dis au contraire qu’analyser son quotidien et le monde qui nous entoure permet de prendre les choses avec davantage de recul, de prudence, en bref de philosophie ! Et de faire des choix plus éclairés. Je ne peux qu’être reconnaissante à toutes les personnes, parents, amis et professeurs, qui m’ont permis d’aiguiser mon esprit critique, de questionner le sens des choses, de m’interroger sur mes valeurs et leur mise en œuvre au quotidien.
  
Death of Socrates
Gravure, “La mort de Socrate”. Source: Pictore, Getty Images – iStock / Getty Images Plus
 
 
Vous insistez aussi sur le sens de l’« ennemi » et de la haine. Pourriez-vous nous parler de ce choix ?
 
J’ai commencé l’écriture de ce roman dans le contexte des attentats du 13 novembre 2015 et des élections régionales qui ont suivi en France, marquées par une poussée de l’extrême-droite. Je me reconnaissais dans les cibles des attentats, car j’appartiens à cette frange de la population qui va à des concerts de rocks et boit des verres en terrasse. Et dans un même temps, j’ai été effrayée par le vote extrême qui a émergé des urnes. Pour moi, répondre à la haine par la haine, au terrorisme par une pensée extrême, n’est absolument pas la solution. Les interrogations de mon narrateur Héraclios ne font que traduire celles que j’avais à ce moment-là.
 
* Interview accordée à Magdalini Varoucha | GreceHebdo.gr
 
** Photo intro: Mathilde Tournier, photographe: Sébastien Pioch (à gauche) et la couverture du livre “Les révoltés d’Athènes” (source: page FB)
 
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M.V.

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