Fondé en 1918 sous le nom « Archives du Folklore »,  le Centre de Recherches du Folklore Hellénique (CRFH) de l’Académie d’Athènes fête 100 ans d’existence et de mise en valeur de la recherche ethnologique en Grèce.
 
GrèceHebdo* a interviewé  Evangelos Karamanes,  directeur du  Centre de Recherches du Folklore Hellénique, sur l’histoire et les principaux axes de recherche menée par le Centre, mais aussi sur le contexte concernant la recherche ethnologique en Grèce et en Europe aujourd’hui. 
 
KaramanesphotoEvangelos Karamanes a étudié l’archéologie ainsi que le folklore et l’anthropologie sociale à la Faculté des Lettres de l’Université Aristote de Thessalonique, au Département d’Histoire et d’Archéologie de l’Université Aristote de Thessalonique.

Par la suite, il  a obtenu son D.E.A. et Doctorat en Ethnologie à l’École des Hautes études en Sciences Sociales (E.H.E.S.S.), Paris. Depuis 2002, il est chercheur au Centre de Recherche du Folklore Hellénique de l’Académie d’Athènes et depuis 2015, directeur de recherche. 

Le Centre de Recherches du Folklore Hellénique (CRFH) de l’Académie d’Athènes est fondé comme « Archives du Folklore » au début du 20ème siècle. Quel est le contexte concernant la recherche ethnologique en Grèce et en Europe en ce moment précis ?
 
La fondation des Archives du Folklore (Laographikon Archeion) en 1918 constitue l’acte final des efforts de Nikolaos Politis (1852-1921) pour l’établissement des études scientifiques de la culture populaire en Grèce et leur harmonisation avec la recherche dans les domaines du folklore et de l’ethnologie dans les autres pays européens.
 
Le but des Archives du Folklore, rattachées depuis leur fondation au Ministère de l’Education Nationale, était de « collecter, sauvegarder et publier les monuments de la vie et de la langue du peuple grec » selon les termes de l’époque. En effet les recherches sur le terrain, en Grèce et à l’étranger, par le personnel du Centre, l’archivage du matériel ethnographique sous ses diverses formes (textes manuscrits, photos, enregistrements sonores, vidéos, objets muséaux etc.) et la publication des études scientifiques dans l’Annuaire scientifique du Centre et dans ses séries de publications constituent l’essentiel du travail effectué au sein du CRFH. La première mission de recherche sur le terrain a eu lieu en 1920 en Thrace par Stilpon Kyriakidis (1887-1964), directeur des Archives.
 
Il est bien connu que le fondateur des Archives du Folklore N. G. Politis a dû s’adonner depuis la fin du 19ème siècle à de farouches combats contre certains de ses collègues conservateurs de la Faculté des lettres de l’Université d’Athènes, philologues qui étudiaient les lettres classiques et ne valorisaient guère l’étude de la littérature orale du grec moderne, pour établir la « Laographie » comme domaine scientifique d’étude de la culture populaire en Grèce. A savoir, les sciences sociales n’existaient pas en Grèce sur le plan académique à cette époque.
 
N. G. Politis a littéralement construit le domaine de la Laographie, tout en conservant un réseau de correspondants-informateurs dans les provinces grecques, par ses écrits, par le biais de ses cours à l’Université d’Athènes où il a formé des folkloristes, par la fondation de la Société Hellénique du Folklore en 1908. Il avait d’ailleurs défini ses thématiques dans l’article avec le titre « Laographia » (du laos, le peuple en grec, et grapho qui signifie écrire, décrire, étudier) dans le premier tome de la revue homonyme publiée en 1909, en ouvrant ainsi la route pour l’élaboration d’inventaires et de classifications par ses disciples dans les décennies suivantes.
 
Politis était très familier avec les études folkloriques et anthropologiques européennes de son époque, notamment avec l’œuvre des anthropologues britanniques James Frazer (1854-1941) et Andrew Lang (1844-1912). Il était un interlocuteur d’Edward Tylor (1832-1917) et de John Lawson et lié d’amitié avec le byzantinologue Karl Krumbacher(1856-1909), professeur des universités de Munich et Leipzig, figure emblématique des études byzantines et néo-helléniques, et l’érudit catalan Antoni Rubió i Lluch (1856-1937) ainsi, qu’avec diverses personnalités du mouvement philhellène du 19eme siècle.
 
La Grèce, où les disciples de Politis (notamment Stilpon Kyriakidis et Georgios Megas) ont travaillé après la fondation des Archives du Folklore, est un pays très diffèrent comparé à celui du 19ème siècle, où les études folkloriques sont nées. La perte de la liaison avec l’Orient après la Catastrophe de 1922 a conduit à la recherche de nouvelles idées et vers les mouvements modernes dans l’art et l’architecture. Dans ce contexte, des efforts de modernisation de la notion de “grécité” (Hellinikotita) – c’est à dire l’effort et le désir de former une identité culturelle Grecque – sont devenus fondamentaux dans la pensée académique et les arts (poésie, peinture, musique, architecture). Éloignés des solutions classicisantes des générations précédentes, les intellectuels de l’entre-deux-guerres se tournent vers Byzance et surtout vers la tradition populaire post-Byzantine et moderne. Angheliki Hadjimihali en ce qui concerne l’art populaire, Dimitris Pikionis et Aristotelis Zachos dans l’architecture, expriment, entre autres, cette tendance.
 
Collage persons
De gauche à droite: Nikolaos G. Politis (1852-1921), fondateur des Archives du Folklore en 1918, Stilpon P. Kyriakides (1887-1964), directeur des Archives du Folklore (1918-1926), Georgios A. Megas (1893-1976), directeur des Archives du Folklore (1936-1955). 

 En même temps, dans plusieurs pays européens mais aussi aux Etats-Unis, dans des contextes assez différents, on note des efforts systématiques pour la collecte et l’étude d’éléments et de manifestations de la culture populaire. Par exemple, à l’autre bout du continent européen, dans les pays baltiques, on note la fondation d’Archives du Folklore nationaux dans le cadre scientifique de la grande tradition scandinave d’archivage du matériau folklorique (notamment Finlandaise, je rappelle que la « Finnish Littérature Society» a été fondée en 1831 mais ses Archives du Folklore en 1937) et des études germanophones dans ce domaine. Dans les pays baltes, qui ont acquis leur indépendance avec la fin de la Première Guerre mondiale en 1918 et l’ont préservé jusqu’en 1940 quand ils ont été annexés à l’Union Soviétique, a eu aussi lieu l’établissement de structures nationales qui protègent et promeuvent la culture nationale. On note ainsi la fondation des Archives du Folklore Lettones en 1924, les Archives du Folklore Estoniennes en 1927 et les Archives du Folklore de Lituanie en 1935. Il faut bien noter que toutes ces Archives étaient formées dans l’esprit de la coopération internationale active du folklore européen de l’entre-deux-guerres. Certains ont été exclus de cet espace intellectuel commun après la fin de la Seconde Guerre mondiale jusqu’au début des années 1990 et l’effondrement de l’Union Soviétique. La collaboration et le partage ont eu de nombreux visages dans l’histoire des disciplines du folklore et de l’ethnologie européenne. En effet, le folklore en tant que discipline constitue un exemple exceptionnel de partage, non seulement de méthodologies et de modèles d’interprétation, mais aussi du matériel de recherche. Pendant l’entre-deux-guerres – l’âge d’or des approches comparatives – et bien avant, il était courant que les universitaires fournissent aux collègues étrangers des exemples nationaux de textes, de croyances et de coutumes étudiées.

Avec la montée du nazisme en Allemagne dans les années 1930 et de l’usurpation de sa part de certaines notions clés des études folkloriques – la notion du peuple p.e. – de ruptures profondes ont eu lieu au sein de la communauté scientifique. Cela dit, après la guerre, dans certains pays, notamment en Allemagne, le domaine entier des études folkloriques a dû se réorganiser à fond sur de bases nouvelles et s’orienter vers les études culturelles. En France, à cause de la propagande et la rhétorique adoptée par le gouvernement de Vichy, la notion même du folklore a été complètement dévalorisée au sein du monde académique.
 
L’organisation scientifique principale pour l’étude du folklore pendant l’entre-deux-guerres, à savoir la Commission Internationale des Arts Populaires (CIAP) a été établie en Octobre 1928 pendant le Congrès des arts populaires organisé à Prague, sous les auspices de la Société des Nations, et son secrétariat siégeait à Paris. La Société Internationale d’Ethnologie et de Folklore (SIEF), successeur scientifique de la CIAP, a été fondée à Athènes en 1964 à l’occasion d’un colloque international important de folkloristes accueilli par Georgios A. Megas (1893-1976).
 
En général, l’histoire du folklore et de l’ethnologie européenne englobe plusieurs épisodes de dislocation de la pensée et de la recherche scientifique internationale de certains pays. En Grèce, malgré les conditions peu favorables pour le développement de ce domaine d’études après la Seconde Guerre mondiale et la Guerre Civile, les difficultés multiples auxquelles étaient confrontées les chercheurs qui travaillaient sur le terrain et la dévalorisation de la culture paysanne et populaire dans la conscience même des gens, on a réussi à garder des collaborations fructueuses sur le plan international grâce aux efforts d’éminents folkloristes comme les anciens directeurs du CRFH et professeurs de Laographie à l’Université d’Athènes, G.A. Megas, G. K. Spyridakis, St. D. Imellos mais aussi Démétrios Loukatos, Démétrios Petropoulos et tant d’autres, dans les années 1950, 1960 et 1970 respectivement. Un projet de recherche européen dans lequel le CRFH a participé activement dans les années 1960 et 1970 est l’Atlas du Folklore Européen géré par la Ständige Internationale Atlaskommission (SIA) une initiative d’éminents savants, comme l’ethnologue suédois Sigurd Erixon, Matthias Zender et B. Bratanic (de l’Université de Zagreb).
 
Les résultats des efforts des anciens chercheurs du CRFH ont eu un impact considérable dans leur temps déjà, mais ont fructifié pleinement pendant les décennies suivantes et surtout en ce moment avec l’expansion du programme d’éditions du Centre, les expositions muséales spécialisées, l’organisation de conférences et autres activités. Notamment une nouvelle série de publications initiée en 2002 par Aikaterini Kamilaki, appelée « Sources de la culture populaire » qui concerne la publication de manuscrits inédits, des enregistrements sonores etc. issus de recherches sur le terrain et déposés aux archives du Centre, qui traite de localités spécifiques, a eu un impact considérable: 13 titres sont déjà parus et une dizaine de livres sont en voie de publication.
 
8 POLYMEROU KAMILAKI
Aikaterini Polymerou-Kamilaki en mission sur le terrain et ses informateurs à Trikeri, dép. de Magnésie, 1979. 
 
Quelle est la position particulière des études folkloriques dans le champ des sciences sociales aujourd’hui ?
 
Plus spécifiquement, au sein du Centre des Recherches du Folklore Hellénique de l’Académie d’Athènes, des chercheurs issus de différentes formations théoriques et parcours scientifiques coopèrent, tout en constituant la preuve que l’osmose de la Laographie avec les études ethnologiques, anthropologiques et sociologiques (déjà depuis les années 1970-1980) est très fertile. Je crois qu’aujourd’hui l’interdisciplinarité est nécessaire pour traiter les sujets et les problèmes de notre monde complexe, des sociétés multiculturelles et souvent fragmentées sur le plan social.
 
Sur le plan de l’histoire de nos sciences, les frontières entre la théorie – et surtout la pratique – des études de folklore d’un côté et de l’anthropologie de l’autre en Grèce, ont été analysés de façon je dirais exhaustive dans de Colloques scientifiques et des monographies spécifiques par de folkloristes comme Alki Kyriakidou (1935-1988)  de l’Université de Salonique mais aussi des anthropologues et ethnologues. Il est vrai que dans certains textes anthropologiques dans le passé assez récent on distingue une claire tendance à diminuer l’importance des travaux laographiques [soit en les ignorant complètement soit en mettant l’accent sur la critique de l’ethnocentrisme de la Laographie de l’époque de Politis et de certains de ses disciples ou sur la notion de continuité (synecheia), à savoir l’effort de la part des savants grecs du 19ème siècle, surtout des historiens, de montrer les liens directs entre la Grèce moderne et l’antiquité classique].
 
Aujourd’hui, malgré les difficultés qui l’affectent, comme d’ailleurs tous les aspects de la vie du pays depuis le début de la crise, le Centre des Recherches du Folklore Hellénique de l’Académie d’Athènes, bien intégré dans le réseau de recherche et d’éducation hellénique et européen, collabore avec des municipalités et des associations culturelles locales dans divers projets scientifiques concernant la promotion des éléments de la culture traditionnelle dans le contexte actuel (chansons démotiques, fêtes, produits agricoles locaux, etc.), maintient un programme d’études sur le terrain très conséquent, de séries de publications très riches, soutient scientifiquement des musées thématiques sur toute la Grèce, accueille des étudiants qui effectuent des stages s’initiant aux méthodes de travail auprès de chercheurs, donne accès à sa bibliothèque, ses archives et collections aux étudiants et chercheurs hellénistes, grecs et étrangers, issus de diverses disciplines, et enfin anime des journées, séminaires et colloques scientifiques internationaux.
 
Je tiens à souligner le fait qu’on accueille chaque année académique pour des stages de trois à six mois de nombreux étudiants provenant de diverses écoles universitaires et champs scientifiques: facultés d’Ethnomusicologie, Sociologie, Anthropologie et Ethnologie, Muséologie, ainsi que départements de facultés de Lettres où des cours de Laographie sont proposés aux étudiants.
 
Quant à l’actualité scientifique du CRFH je note qu’au cours des travaux de la Conférence Internationale tenue à l’occasion du Centenaire du CRFH en 2018, des questions d’histoire du folklore et d’archives ethnologiques, de gestion et d’utilisation des collections dans le contexte contemporain ont été examinées. Un point particulier a été fait sur les formes dans lesquelles le matériel du folklore a été préservé (manuscrits, photographies, enregistrements sonores, films, objets). Les problèmes épistémologiques liés à la collecte du matériel folklorique, puis à son interprétation par des scientifiques et à ses utilisations par la société civile ont été aussi analysés.
 
Une attention particulière a été accordée aux problèmes méthodologiques de la recherche ethnographique locale et au degré d’implication des étudiants, des enseignants, des soi-disant collectionneurs amateurs (amis du folklore et de l’ethnographie) qui s’adressent souvent à des organismes scientifiques pour être soutenus dans leurs efforts. Les problèmes liés au fonctionnement des collections, en particulier les itinéraires (souvent à double sens à notre époque) entre la collecte sur le terrain et l’archivage et la diffusion des données au grand public par le biais d’expositions dans des musées, de publications, etc. constituent une thématique intéressante, ainsi que son interdisciplinarité, étant donné qu’elle concerne de nombreuses disciplines telles que le folklore, l’ethnographie, l’ethnologie, l’anthropologie, mais aussi la linguistique, la sociologie, la musicologie, etc.
 
Plusieurs délégués ont noté que, dans le contexte actuel et en particulier suite à la mise en œuvre de la Convention de l’UNESCO (2003) sur le patrimoine culturel immatériel, les chercheurs seraient plus enclins à réévaluer leurs méthodes de recherche et à les mettre à jour notamment en ce qui concerne les interactions avec le public.
 
9. PERISTERIS THERMO
Spyridon Peristeris pendant l’enregistrement sonore de musique démotique (bande du clarinettiste Lambros Papathanasiou originaire de Thermo, Naupacte), à Karpenisi, dép. d’Eurytanie, Roumélie, 1959. 
 
L’année 2018 a marqué le centenaire de la fondation du Centre. Pourriez-vous nous donner les dates-clés de l’histoire du Centre depuis sa fondation jusqu’aujourd’hui ?
 
Le marquage des anniversaires des institutions est une chose utile, surtout quand on ne se limite pas aux festivités, mais quand aussi on profite pour réfléchir, pour promouvoir et pour célébrer l’œuvre accompli par ces institutions.
 
La réflexion intense sur le passé disciplinaire du folklore (et plus précisément l’histoire des archives de folklore) est une caractéristique générale de l’étape réflexive actuelle de l’érudition du domaine des études anthropologiques, étant donné qu’elle met l’accent sur les trajectoires épistémologiques menant à notre pensée actuelle. Dernièrement, les études folkloriques ont mis en évidence plusieurs motifs d’inspection historique, notamment l’accent mis sur le rôle des personnalités clés, les activités des institutions et aussi les contextes internationaux et locaux, un nombre impressionnant de livres, d’anthologies et de journaux publiés présentant des biographies, des récits professionnels de folkloristes, des journaux ethnographiques etc.
 
Parlant de dates-clés de l’histoire du CRFH, je cite que les Archives du Folklore ont étés incorporées à l’Académie d’Athènes en 1926 (au moment de la fondation de l’Académie). Cela s’est avéré un acte sage malgré les problèmes de fonctionnement pendant les premières années après l’incorporation dans l’Académie. L’Académie a procuré une certaine stabilité administrative et surtout a assuré la continuité et la longévité des Archives.
 
Notons aussi les recherches systématiques de terrain des années 1937-1940 effectuées par le personnel scientifique des Archives, interrompues par la guerre mais aussi les premiers comptes rendus sur les travaux des Archives du Folklore, rédigés par le directeur G.A. Megas et approuvés par le Sénat de l’Académie d’Athènes en 1944, où il est indiqué que les Archives sont adaptées aux objectifs scientifiques poursuivis par des institutions scientifiques homologues des autres pays européens en faisant référence à la résolution du Congrès Folklorique de Lund, Suède (1935). En ce qui concerne par exemple le système de classification de contes populaires au sein de l’Archive, G. A. Megas (comme également Stilpon Kyriakidis) était favorable à l’harmonisation du travail d’archives avec les principes et pratiques des Archives du Folklore des pays nordiques (cela contre des recommandations différentes). Plus précisément, Kyriakidis a publié dans la revue « Laographia » les décisions du Congrès de Folklore de Lund sur la recherche de contes (séance du 8 Novembre, 1935) rédigées sur recommandation de l’éminent professeur allemand à l’Université de Tartu, en Estonie, Walter Anderson et son disciple, organisateur et premier directeur des Archives du Folklore Estonien, Oskar Loorits. Cela montre le degré élevé d’intégration de la recherche laographique de l’époque dans le cadre de la recherche européenne et internationale.
 
Les Archives du Folklore ont été renommées en Centre de Recherches du Folklore Hellénique (Kentron Erevnis tis Ellinikis Laographias) en 1966. Il faut remarquer qu’au début des années 1950 s’active la Collection Musicale Nationale au sein des Archives et les musicologues du Centre, notamment Spyridon Peristeris, enregistrent de milliers d’heures de musique démotique en parcourant le pays dans des conditions, il faut le dire, assez difficiles. Au début des années 1960, à l’initiative de Georgios Spyridakis (1906-1975), des caméras cinématographiques de 16mm facilement maniables ont été utilisées et ont permis une approche plus intime des fêtes, célébrations publiques de communautés etc., notamment par Georgios Aikaterinidis, cinéaste/folkloriste.
 
En 1990, la loi sur la recherche (votée en 1985) s’applique aux Centres de Recherche de l’Académie (loi 1894/1990) et les membres du personnel scientifique y sont intégrés comme chercheurs selon les grades établis. Les chercheurs élus au CRFH depuis, ont complété des études doctorales spécialisées en Laographie (mais aussi en Ethnologie et Anthropologie Sociale) ou en Musicologie, et sont titulaires de doctorats.
 
Les domaines de l’éducation et de la recherche ont fabuleusement profité de l’adhésion de la Grèce à la Communauté Economique Européenne pour faire avancer des projets scientifiques sur tous les niveaux. Après 1994, sous la direction de Kaiti Kamilaki, ont été élaborés des projets concernant la construction d’installations adéquates pour la préservation et la promotion de ses archives et collections, numérisation de la bibliothèque et des archives, ainsi que des projets de recherche proprement dits.
Ainsi, au cours des dernières décennies, suite aux initiatives de l’ancienne directrice Aikaterini Polymerou-Kamilaki (durant la période 1994-2013) et grâce à la collaboration d’anciens et jeunes chercheurs, ainsi que de membres du personnel spécialisés, l’amélioration radicale de ses infrastructures suite à l’emménagement du Centre dans l’immeuble de la rue Ipitou dans le quartier de Plaka en 2002 (grâce à la généreuse donation de la Fondation Lilian Voudouri), la publication d’éditions de référence, l’organisation d’expositions et de colloques, ainsi que la numérisation de ses archives et collections, soutenue par des programmes de l’U.E. et des ressources nationales, l’élaboration d’applications digitales pour l’éducation, de bases de données et de dépôts numériques spécialisés, ont permis l’expansion de ses domaines de recherche et la communication des résultats de ces travaux vers un public élargi.
 
Avec SIEF, que nous avons déjà mentionnée, et plus spécifiquement avec son groupe de travail francophone et le réseau francophone EURETHNO, nous avons organisé il y a quelques mois, en Septembre 2018, à l’occasion du Centenaire du GRFH (1918-2018), une Conférence internationale avec le thème « Du terrain à l’archive : les archives de folklore et d’ethnologie en tant que pôles de recherche, d’éducation et de culture ». La conférence proposait d’étudier de manière comparative, réflexive et critique les méthodes et les pratiques de collecte du matériel folklorique et de la recherche ethnographique sur le terrain européen depuis le XIXe siècle jusqu’à nos jours, ainsi que les pratiques d’archivage de divers types de matériel ethnographique (manuscrits, photos, son, film, objets). Au total, trente scientifiques de neuf pays européens (Grèce, Chypre, France, Italie, Serbie, Hongrie, Roumanie, Pologne et Norvège) ont participé à la conférence, ce qui a permis un examen comparatif de différents thèmes.
 
6 PETROPOULOS CRETE
Démétrios Petropoulos sur le terrain, à Kalamitsi Alexandrou, région d’Apokoronou, dép. de la Canée, Crète, 1953.
 
Pourriez-vous nous présenter les principaux axes de recherches du Centre aujourd’hui ? Comment ces choix sont établis ?
 
Comme j’ai déjà noté, le but, je dirais, diachronique des Archives du Folklore/CRFH est l’enregistrement du matériel ethnographique par le biais de recherches systématiques sur le terrain, le développement et enrichissement de ses archives (textes manuscrits, photos, enregistrements sonores, vidéos, objets muséaux etc.), l’élaboration de projets de recherche et la publication des études scientifiques dans l’Annuaire scientifique du Centre et dans ses séries de publications.
Aujourd’hui, le CRFH dispose de la collection la plus riche en matière de folklore hellénique organisée en archives et collections, à savoir archive de manuscrits, archive photographique, collection muséale, archive cinématographique, collection de musique nationale, bibliothèque ainsi que certaines collections particulières.
Nous accordons une attention particulière, comme j’ai déjà cité, à l’implication des étudiants, des enseignants, des soi-disant collectionneurs amateurs (amis du folklore et de l’ethnographie) dans la collecte du matériau folklorique et ethnographique. Aussi, la diffusion des données au grand public par le biais d’expositions dans des musées, de publications, mais aussi à travers l’internet et des bases de données et des dépôts digitaux spécialisés.
 
BeFunky Collage musique
Instruments musicaux exposés au Centre de Recherches du Folklore Hellénique, Athènes. 
 
Quelles sont les archives accessibles aux chercheurs et au public au sein du Centre? Est-ce qu’il y a du matériel ethnographique disponible en ligne aussi ?
 
Depuis le portail web http://www.kentrolaografias.gr on a accès au catalogue numérique de la bibliothèque mais aussi au catalogue de l’Archive des manuscrits et aux éditions numérisées du Centre.
 
Aussi, des liens multimédia comme p.e. l’émission à l’occasion du centenaire du CRFH sur la chaîne du Parlement Hellénique sur You Tube (en grec, première diffusion 30 juin, 2018, durée 1:41′): https://www.youtube.com/watch?v=8d219MuGosQ
 
Les dépôts numériques suivants sont aussi en accès libre au public, ainsi qu’aux chercheurs :
– Annuaire des Archives du Folklore / CRFH (de 1939 jusqu’à présent) et publications du Centre: http://editions.academyofathens.gr/epetirides/xmlui/handle/20.500.11855/1
– Archive Cinématographique : http://repository.academyofathens.gr/gr/video2
 
16 Moyseio akriton
Le Musée Européen de la Civilisation Acritique à Palaiochora, dép. de la Canée, Crète (créé en 2006) après le transfert dans ses nouveaux locaux et la réexposition de son matériel en 2018.
 
Quel est l’intérêt porté sur les identités ethniques par la recherche folklorique aujourd’hui en Grèce ?
 
Il est peu connu que Nikolaos Politis, conscient du fait qu’un grand nombre des éléments de la culture populaire de son temps étaient en déclin et parfois en voie de disparition, a inclus dans l’effort de « sauvetage » l’expression culturelle (la culture matérielle, les coutumes, les traditions orales, les récits, etc.) de tous les groupes ethnoculturels de l’espace grec et même ceux en dehors du territoire de l’état grec de son temps grâce à ses correspondants érudits locaux. Son exemple doit nous inspirer.
 
La recherche actuelle étudie tous les aspects des traditions locales des populations hellénophones ou bilingues qui enrichissent l’identité grecque moderne. Un intérêt particulier doit être porté aux groupes défavorisés et aux gens qui viennent d’arriver en Grèce soit comme refugiés, soit dans le cadre de l’immigration pour des raisons économiques. Dans ce domaine on a beaucoup des choses à faire encore. Des projets de recherche très intéressants sont proposés, notamment par des jeunes chercheurs, et nous sommes optimistes qu’ils seront soutenus, malgré les difficultés actuelles. Il s’agit d’efforts essentiels afin de faire face aux problèmes majeurs actuels comme la fracture sociale, la fragmentation de la société et la montée du racisme, dans le but de promouvoir la connaissance et le respect d’autrui.
 
* Interview accordée à Magdalini Varoucha | GreceHebdo.gr
 
** Première image: Georgios Ekaterinidis en mission sur le terrain pendant une pause du travail cinématographique à Assi Gonia, dép. de la Canée, Crète (1964).
 
M.V. 
 
 
 

 

 

 

TAGS: Grèce | histoire