Myrto Gondicas est traductrice, surtout du grec (ancien et moderne) et travaille essentiellement pour le théâtre.Membre du Comité grec de la Maison Antoine Vitez (Centre international de traduction théâtrale), Elle a dirigé deux anthologies du théâtre grec moderne : Auteurs dramatiques grecs d’aujourd’hui (Maison Antoine Vitez , 2014) et Panorama des écritures théâtrales de la Grèce moderne (1830-1957) (avec Olivier Descotes, éditions L’Espace d’un instant, à l’initiative de l’Institut Français de Grèce, 2015).
Depuis 2008, elle fait partie du comité de rédaction des revuesde poésie Les Carnets d’Eucharis et Phoenix. Récemment, elle a signé la traduction des Pièces de guerre d’Eschyle (Anacharsis, 2018) et a coordonné deux anthologies du théâtre grec moderne et contemporain.
En littérature grecque moderne, elle a notamment traduit Vyzantios (Vavylonia/La Tour de Babel) et Peresiadis (Golfo) ; en littérature contemporaine, Kiki Dimoula (le recueil de poèmes Erìmin/Par contumace, paru en revue), Maro Douka (le monologue théâtral « Sas arèsi o Brahms ? »), Stamàtis Polenàkis (Le Dernier Rêve d’Emily Dickinson, théâtre), Manolis Tsipos (Nature morte, A la gloire de la ville), ainsi que des nouvelles, en particulier de Ilias Papmoskhos, comme traductrice invitée aux éditions Le Miel des anges créées et dirigées par Michel Volkovitch.
Elle collabore d’autre part, chez différents éditeurs, à l’édition de l’œuvre posthume de Cornelius Castoriadis.
Myrto Gondicas a répondu aux questions de GrèceHebdo* sur les « défis impossibles » de la traduction, la résonance des textes antiques, mais aussi de la dramaturgie grecque contemporaine, et aussi sur Cornelius Castoriadis.
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De gauche à droite: Maro Douka, Ilias Papamoskhos, Stamatis Polenakis, Kiki Dimoula. 
Pourriez-vous nous parler de votre première rencontre avec la traduction du grec ? En quoi cette démarche révèle-t-elle des « défis impossibles » ?
Ma première rencontre stricto sensu a eu lieu entre enfance et adolescence, durant la troisième année du cursus d’un établissement secondaire français, par les exercices de « version » de grec ancien. Parmi les auteurs préférés : XénophonLucien… C’étaient de courts extraits, un quart de page peut-être, le plus souvent des textes narratifs ; il fallait montrer qu’on avait compris et si possible maîtriser un français assez normé, clair, fluide, avec peu de variations dans le niveau de langue. A condition d’avoir intégré les règles du jeu, il n’y avait là pas de difficulté particulière, sinon le fait que nous en étions au tout début de l’apprentissage de la langue. Les vrais défis viendraient après.
Plus tard, à l’entrée dans l’âge adulte, j’ai eu l’occasion de travailler pour une jeune maison d’édition de petite taille et grand public — pas très connue à ses débuts, mais n’ayant rien d’universitaire —, aux choix originaux, qui publiait essentiellement des romans et de nouvelles. Chez Arléa (c’est son nom), l’accent était mis sur le plaisir de lire d’un lecteur non spécialiste. Elle venait de créer une collection de textes traduits du latin, et souhaitait y ajouter une série grecque. Un volume de Sénèque avait rencontré, toutes proportions gardées, un beau succès : ma première commande fut, comme une sorte de pendant, une anthologie d’Epictète. Là, j’ai découvert, dans le va-et-vient des corrections, une conception tout autre de la traduction, n’hésitant pas à utiliser un lexique contemporain, une syntaxe vive et simple, s’émancipant par moments du sens littéral « pour que ça sonne mieux »… Cela donnait lieu parfois à des arbitrages difficiles avec les éditeurs. Le travail sur quelques ouvrages que j’ai traduits pour cette petite équipe joyeuse et fraternelle m’a apporté comme un grand coup d’air frais ; J’ai beaucoup appris là en matière de liberté, mais aussi d’exigence dans l’écriture.
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Vous travaillez systématiquement avec les pièces de théâtre, antiques et modernes (dernière parution : la première des   «  Pièces de guerre» d’Eschyle, Les Perses (Anacharsis, 2018) Qu’est ce qui vous séduit le plus dans les textes antiques grecs ? En quoi résonnent-ils encore en nous aujourd’hui ?  
Il y a dans les textes de théâtre quelque chose qui me parle immédiatement : plus encore que les autres (Homère, jadis, n’était pas lu silencieusement), ils jouent sur la voix ; comme élément sonore, bien sûr — et soutenu jadis par une musique qui n’a pas aussi totalement disparu qu’on le dit d’habitude —, mais aussi comme voix plurielle, avec pour les pièces anciennes des matériaux rythmiques différenciés aux combinaisons inventées ; et, le son se tressant au sens, la scène est le lieu où règne la pluralité des discours, aucun n’étant, comme le dit lumineusement Pierre Judet de La Combe, assuré de détenir la vérité sur l’événement représenté. Bien entendu, l’intérêt pour la voix est aussi moteur dans mon travail sur la poésie.
On pourrait croire tenir ici un défi impossible : comment faire passer le rythme d’un chant de chœur ou différents phénomènes (changements d’allure, voire de dialecte) dans une langue comme le français qui ignore non seulement l’opposition des voyelles brèves et des longues, mais dont l’accent tonique montre une uniformité des plus ennuyeuse ? Pour le dire brièvement, je me suis persuadée au fil du temps que l’élément musical devait être toujours présent à l’esprit du traducteur, mais comme le fruit final d’un travail global et rigoureux sur le sens, la syntaxe, les mots ; donc, sans chercher aucun mimétisme au départ, il peut arriver (certaines lectures ou représentations le montrent : je pense à Emmanuelle Riva incarnant seule le chœur de la Médée d’Euripide) qu’on soit, tout au bout, comme récompensé par l’irruption d’une allure et d’un son inouïs. Pour ce faire,il m’a fallu apprendre l’ouverture à l’inconnu, le non-savoir systématique qui vous aide à vous détacher des compréhensions héritées ou arbitraires tel que le promeut l’école philologique de Jean Bollack, pour commencer à lire le théâtre et les textes anciens autrement que je ne l’avais appris à l’université. Alors peut, en effet, émerger une actualité de ces œuvres qui ne doit rien à l’adaptation arbitraire ou à des parallélismes paresseux ; elle est quelquefois foudroyante.
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 De gauche à droite: Euripide, Homère, Eschyle.
Vous avez dirigé la publication du livre Auteurs dramatiques grecs d’aujourd’hui (Maison Antoine Vitez). Pouvez-vous nous parler de traits marquants de la dramaturgie grecque contemporaine ? 
Cette anthologie, parue en 2014, comprenait à quelques exceptions près seulement des extraits de pièces, pour offrir un choix aussi large que possible. Et le contraste est grand entre les styles, les tons, les sujets… Un point commun pourrait être que, le théâtre explicitement engagé ayant fait son temps, les auteurs, vivant déjà sous le poids de la crise, ne renoncent pas à mettre la politique sur la scène, mais inventent des façons nouvelles de le faire surgir dansl a vie intime de leurs personnages ; liée ou non à cela, on trouve assez souvent une grande liberté dans la variation des modes d’expression et niveaux de langue. Un détail (ou pas vraiment ?) qui ne vous étonnera pas : la confection pour l’ouvrage d’un index thématique a fait apparaître dans des proportions écrasantes le rôle de la famille.
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Mosaïque représentant des masques théâtraux de Tragédie et Comédie, 2ème siècle après JC  Rome Thermae Decianae Palazzo Nuovo, Musée Capitoline. Source: Wikimedia Commons.
Au delà de la traduction littéraire et théâtrale, vous  travaillez aussi avec l’œuvre de Cornelius Castoriadis. Pourquoi Castoriadis ? Quels sont les éléments de sa  pensée qui vous accompagnent dans votre vie ?
Cornelius Castoriadis était un ami proche de mes parents ; je ne l’avais, hélas, guère lu de son vivant. C’est après sa mort que j’ai rencontré son œuvre, d’une part en effectuant l’inventaire de son fonds scientifique (maintenant déposé aux archives de l’IMEC), puis en rejoignant le travail d’édition des textes posthumes commencé par un groupe d’amis et d’anciens étudiants. L’essentiel de ce travail, en cours depuis plus de vingt ans, est dû à Pascal Vernay et Enrique Escobar ; il est principalement publié aux éditions du Sandre et au Seuil, et couvre à peu près tous les domaines d’intérêt de Castoriadis.
Comme le savent tous ceux qui se sont intéressés de près ou de loin à son œuvre (politique, philosophique, psychanalytique, économique…), c’était un penseur hors normes, pas seulement par la profondeur et la variété de sa pensée, mais par la façon organique dont tous ses intérêts étaient organiquement liés, se nourrissant mutuellement — avec un maître mot : l’autonomie. Je ne sais pas si cela répond à votre question, mais ce qui me vient quand je pense à lui, c’est un élan toujours renouvelé vers la liberté, une honnêteté intellectuelle sans faille, une curiosité de tout, et, chez un homme ami de la polémique, une qualité d’attention rare à l’interlocuteur, sans aucun égard à l’âge, aux titres ou aux puissances.
* Entretien accordé à Magdalini Varoucha | GreceHebdo.gr
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