Leda Papastefanaki est professeure agrégée d’histoire économique et sociale au département d’histoire-archéologie de l’Université de Ioannina (Grèce). Elle est membre du corps d’enseignants de l’Institut d’études méditerranéennes / Fondation pour la recherche et la technologie (IMS / FORTH, Rethymno, Grèce).

Ses recherches portent sur l’histoire sociale et économique de l’industrialisation et du travail, l’histoire sociale de la technologie, l’histoire minière, l’histoire de la santé au travail, l’histoire urbaine, l’histoire du genre, l’archéologie industrielle, l’histoire juive.

Elle a publié les livres suivants: « Le travail, la technologie et le genre dans l’industrie grecque. L’industrie textile du Pirée (1870-1940) » (Crète University Press, Herakleio 2009) [en grec], « Les veines de la terre: les mines de Grèce, XIXe-XXe siècle » (Vivliorama Publishing, Athènes 2017) [en grec].

Elle a co-édité les volumes « Mines dans la mer Egée. L’archéologie industrielle en Grèce », préface Louis Bergeron (Athènes 2009) [en grec], « Explorer les relations sociales en termes de santé et de maladie. L’histoire sociale de la médecine en tant que domaine de recherche » (Rethymno 2013) [en grec, résumés en anglais], « Marchés et politique. Intérêts privés et autorité publique (XVIIIe-XXe siècles) » (Volos 2016) [Grec et Anglais] et « Les communautés juives entre Orient et Occident, XVe-XXe siècles: Economie, société, politique, culture » (Ioannina 2016) [Grec et Anglais, résumé en anglais].

GrèceHebdo* a interviewé Leda Papastefanaki à propos de son dernier livre « Les veines de la terre: les mines de Grèce, XIXe-XXe siècle », paru en grec en 2017, afin de mieux cerner l’histoire inconnue de l’exploitation des mines en Grèce et notamment les relations sociales, les politiques publiques et les idées politiques liées a cette activité.

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Mineurs à Serifos. Source : Archive photographique du Musée nationale et  historique. Photo de Th. Fyntanidis, 1893.

Votre recherche porte sur un sujet original et largement inconnu. Pouvez-vous nous presenter les principales questions qui vous préoccupent et la façon dont vous avez essayé d’atteindre les réponses ?

La politique de l’État, l’histoire des entreprises minières, des forces scientifiques et de la main-d’œuvre, de la technologie, des établissements miniers, des réseaux commerciaux, ainsi que l’histoire des grèves sont des aspects non enquêtés dans l’historiographie grecque. Ces aspects n’ont pas été étudiés, bien que l’exploitation minière ait été remarquable, l’activité économique globale a joué un rôle important dans le commerce d’exportation de la Grèce et a contribué à bien des égards à l’économie grecque.

L’activité minière a également formé une main-d’œuvre qualifiée dans les  mines et a créé une expertise et un corps dynamique d’experts d’ingénieurs des mines. Elle a aussi formé le paysage de nombreuses zones habitées et inhabitées.

Ayant constaté que ces questions n’étaient pas étudiés et que notre connaissance d’une activité économique aussi importante était limitée, j’ai commencé la recherche pour les archives pertinents. Trouver du matériel d’archives dans de nombreuses régions du pays et à l’étranger a créé d’autres questions auxquelles j’ai dû répondre.

La question fondamentale qui m’a préoccupée est dans quelle mesure et de quelle manière une activité économique, principalement axée sur l’exportation dans le contexte d’une économie mondialisée, a contribué au développement économique du pays, affectant les relations sociales et la formulation des politiques. Les questions spécifiques portent sur le rôle de l’État dans le développement des mines pour la période 1830-1960, l’activité des entreprises, la position de la Grèce dans la division internationale du travail, la formation des marchés du travail et des relations du travail, la technologie, la gestion technique et l’organisation des mines. Le concept de division du travail occupe une place prépondérante  dans mon  approche, ce qui permet d’étudier les différences sociales et économiques à plusieurs niveaux: au niveau de l’économie mondialisée, au niveau de l’économie nationale, au niveau de l’entreprise, au niveau des zones de production, au niveau de la famille.

Mon but était de répondre, au moins en partie, aux questions ci-dessus, en utilisant les outils théoriques et méthodologiques de la science historique, en particulier l’histoire économique et sociale. J’ai essayé de répondre aux questions et de cartographier en même temps, à peu près toute l’industrie afin de mettre en évidence la dimension historique de cette activité économique.

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Mineurs pendant le chargement d’un navire,  Serifos, 1957. Source: Archives nationales de Grèce, Département de Cyclades.

Quelles sont les principales phases de l’exploitation minière en Grèce ? Comment ces phases sont-elles liées à des évolutions en Europe et quelles sont les caractéristiques particulières du cas grec ?

La première phase de l’activité minière systématique en Grèce est la période 1861-1875, une période associée au développement de la métallurgie en Europe et à la demande de minéraux, principalement par les entreprises françaises.

L’année 1861 marque le lancement de l’exploitation systématique en Grèce, avec l’adoption de la législation qui définit le statut de la concession et l’exploitation des mines. A cette époque, la société franco-gréco-italienne Hilarion Roux & Cie, qui prend le relais à partir de 1864, reprend l’exploitation de l’ancienne scorie de plomb de Laurium (Laurion/Lavrio, en langue néohellénique) et, depuis 1869, le traitement des « ecvolades », résidus métallurgiques hérités de l’Antiquité qui constituent l’aliment de la première fonderie.

L’affaire du Laurion (1869-1873)

La période se caractérise par l’affaire du Laurion  (1869-1873), le conflit entre le gouvernement grec et la société Roux & Cie, concernant le droit de cette dernière à opérer en dehors des scories et de déchets miniers. Les spéculations sur «l’immense richesse» des mines de Laurion ont suivi la spéculation boursière, les faillites d’entreprises et la crise politique. L’affaire Laurion a été résolue en 1873 avec l’achat de tous les droits et dépôts de scories et l’achat des installations du groupe Roux & Cie par des financiers grecs. De l’entreprise Roux & Cie sont créées: la Société des Usines Métallurgiques de Laurium (SUML en 1873) et la Compagnie Française des Mines de Laurium (CFML, en 1875). Dans la période 1867-75, une période de «frénésie minière», les 31 premières sociétés minières sont formées.

Usine de la Compagnie Française des Mines du Laurion aux alentours de 1890
Usine de la Compagnie Française des Mines du Laurion aux alentours de 1890. Source: Wikipedia.

La période 1890-1914

Le cycle ascendant de l’économie internationale, du début des années 1890 à 1914, et les nouvelles technologies ont permis aux exploitations minières en Grèce de réaliser des profits élevés en exportant de grandes quantités de minerais bruts. De 1890 à 1907, l’activité minière est en plein essor et les exportations ont plus que triplé. Plusieurs compagnies minières étrangères, dont certaines opèrent occasionnellement, sont inaugurées durant cette période. Il convient de noter que la concurrence franco-allemande s’exprime également fortement dans la demande de minerais grecs, à la veille de la Première Guerre mondiale.

Parmi les entreprises de cette période, on doit retenir les CFML et SUML et les sociétés françaises : « Société anonyme des mines de Seriphos et de Spiliazeza (à Laurion) » (fondée en 1880) qui exploite les mines de fer à Sérifos et le groupe d’affaires « Société de Travaux Publics et Municipaux” (fondée en 1882), active en Grèce et dans l’Empire ottoman. Le CFML contrôle, en 1890-1910, une partie importante de l’activité minière en Grèce.

Le rôle de l’état : les lois de 1910-1911

C’est dans cette période -là qu’on a un nouveau cadre institutionnel concernant l’exploitation et le travail dans les mines, avec la loi « Sur l’exploitation minière » (1910) et les « Règles d’exploitation » (1911). A noter aussi que depuis 1901, on établie le Fonds d’assurance pour les Mineurs.

L’annexion de nouveaux territoires en Grèce, après les guerres balkaniques, contribue à l’augmentation des sociétés minières dans le pays : en Chalcidique on trouve deux nouvelles sociétés ottomanes (les mines de magnésite « Frères Allatini » et les mines de pyrite de la société anonyme « Kassandra ») et à Thassos, on a  les mines et la métallurgie du zinc de la société allemande « Speidel ».

1919-1934 : l’activité minière en récession

De 1919 à 1934, l’activité minière est en récession. L’activité récupère de 1934 jusqu’au début de la Seconde Guerre mondiale, pour les minéraux qui serviront l’industrie de guerre européenne. La demande est en hausse pour de minerai de fer, le manganèse, le chrome et un nouveau minéral, qui se trouve dans le sous-sol grec, la bauxite. La demande de l’industrie de guerre contribue, dans cette époque là, à l’émergence, encore une fois, d’entreprises occasionnelles et à la croissance de l’emploi total dans le secteur.

Dans l’ensemble, de 1860 jusqu’ à 1940, les produits minéraux sont exportés sous forme brute principalement vers les marchés internationaux, alors que la connexion de l’exploitation minière à l’industrie nationale est faible. L’industrie se caractérise par une grande dispersion géographique, par des investissements limités, par la dépendance aux exportations, par une faible productivité, par le manque de produits miniers bien travaillés  et par une certaine rigueur pour ce qui est  du coût total de production. Les facteurs qui empêchent l’exploitation rationnelle des mines, dans cette période,  sont le manque de surveillance technique de l’Etat, le faible niveau de l’instruction technique et le manque de confiance dans l’exploitation systématique des mines. Par conséquent, la plupart des mines existent à petite échelle, où l’exploitation est réalisée avec des moyens d’extraction primitifs, souvent sans raffinage du minerai.

Après la Seconde Guerre mondiale : le plan Marshall et les mines

Après la Seconde Guerre mondiale, l’industrie minière est au cœur de l’intérêt du plan Marshall tel qu’il était mis en œuvre en Grèce. Des prêts sont accordés pour l’exploitation systématique et intensive des gisements de lignite (afin de securiser l’autosuffisance du pays en électricité), et pour l’exploitation de minerais rares et précieux « pour la défense de l’Occident » (bauxite, chromite, ferronickel). Une assistance technique a également été fournie avec des recommandations pour la révision de la législation minière et la réorganisation des services de l’Etat. L’Institut de géologie et de recherches de sous-sol, entreprend, après 1952, des travaux systématiques de cartographie, prépare des études détaillées et mène des forages d’exploration et des enquêtes afin de vérifier les stocks de mines et la structure géologique des roches. En 1946, l’Université technique nationale d’Athènes établit le département des Ingénieurs de mines. Même si ceci a lieu assez tard par rapport au reste de l’Europe, il est en tout cas  inscrit dans l’esprit de la reconstruction d’après-guerre.

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Chevalement de mine, Chalcidique, circa 1960.

Après 1960 : une politique plus intégrée

Au début des années 1960, la politique minière menée par l’État est plus intégrée, et l’exploitation minière et industrielle attire davantage des capitaux grecs et étrangers. Parmi les principaux investissements figure la société Aluminium de Grèce, filiale du groupe français de Pechiney, qui introduit le traitement vertical de la bauxite pour la production de l’alumine et de l’aluminium.

En conclusion, l’absence d’une industrie lourde nationale intégrée au milieu des années 1960 et la dépendance de l’activité minière nationale sur les marchés internationaux ont eu un impact sur la taille, la structure et le fonctionnement des mines en Grèce. Plus précisément, jusqu’aux années 1960 (lors de lancement de trois unités de base de la métallurgie et de l’accélération de l’industrialisation dans le pays), l’exploitation des ressources minérales a lieu sans planification à long terme, tant de la part des gouvernements et de la part des entrepreneurs. Dans ce contexte, jusqu’au 1960, l’exploitation du sous-sol grec n’est pas conforme aux  méthodes appropriées, menant au gaspillage d’une partie des ressources naturelles.

Pourriez-vous nous parler des principales interventions de l’État grec dans l’industrie minière? Dans quelle mesure celles-ci constituent le résultat de pressions / grèves syndicales ou d’autres facteurs ?

L’intérêt de l’Etat grec dans l’exploitation des minéraux commence dès sa création dans les années 1830. Depuis lors, les premières tentatives ont été faites pour exploiter les ressources minérales des Cyclades et d’Eubée. En 1861, le cadre légal régissant l’exploitation des mines est désormais institutionnalisé. Depuis lors, nous avons une activité minière systématique, et bien sûr cela est lié à l’intérêt des financiers français dans les minerais de plomb de Laurion. Au-delà de cela, l’Etat montre un certain intérêt et s’immisce faiblement dans l’activité minière. L’objectif est d’attirer des investissements. Au début du XXe siècle, en 1910-1914, une nouvelle loi fut créée et une tentative de reconstruction de l’Inspection des Mines devient visible.

Dans le domaine de la protection des travailleurs contre les risques de la profession, quant à l’organisation des soins pour les mineurs en cas d’accident et une assistance à leurs familles, l’intérêt public n’a pas eu lieu très tôt. Sur le plan institutionnel, cela s’est passé depuis les années 1880, mais avec des omissions considérables. La législation sur l’assurance des mineurs a été adoptée en 1901-1912. Jusqu’à la période entre les deux guerres, cependant, la politique des mineurs indique plutôt la faiblesse ou l’inertie de la configuration de l’Etat-providence pour faire face aux accidents et à la morbidité professionnelle dans les mines, la faiblesse à soigner leurs employés et créer un bon système de sécurité.

L’assurance des mineurs et des lois correspondantes sont clairement liées aux grèves des mineurs à Laurion en 1896 et au mécontentement du travail et à la demande de la paix sociale qui commence à inquiéter les réformateurs bourgeois au tournant du 20e siècle. Cependant, nous ne devrions pas interpréter ces arrangements comme une conséquence directe des demandes des ouvriers. La réalité est toujours beaucoup plus complexe. La recherche historique doit prendre en compte la dynamique de l’économie, les relations sociales, et la politique.

L’intervention systématique de l’État grec dans l’activité minière remonte principalement à la Seconde Guerre mondiale, lorsque, d’après le Plan Marshall, il y a un intérêt – de la part des gouvernements et des financiers – à l’exploitation intensive des ressources minérales.

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Des mineurs grecs, Laurion en 1908. Photo: Underwood &Underwood. Source: ELIA/MIET.

Vous prétendez que les caractéristiques particulières des communautés minières (groupes isolés, travail temporaire, population non qualifiée et sans communication entre eux, etc.) ont rendu difficile la coordination des revendications collectives. Cependant, quelques grandes grèves (Laurion, Serifos) ont laissé leur marque et ont pris des dimensions mythiques. Voulez-vous nous en parler ?

Certainement, il y a eu une action collective des mineurs dans des endroits, dans des circonstances spécifiques. Les conditions extrêmement difficiles ont fait des gens durs qui avaient dans le cadre de leur identité professionnelle  masculine, le risque et le danger, quotidiennement. Leurs luttes ouvrières ont eu beaucoup de difficulté à se coordonner. Tout simplement parce que les mineurs travaillaient dans des endroits éloignés et dispersés et ne communiquaient pas avec d’autres groupes de travailleurs, souvent en raison de circonstances, ne communiquaient même pas entre eux, puisqu’il était extrêmement difficile de coordonner l’action collective. Quand une grève est organisée et déchaînée, ces luttes ont souvent un caractère violent et ont été violemment réprimées par les autorités et les employeurs. Il y avait bien sur des demandes de travail réclamées de façon organisée par les mineurs, ce qui a permis des grèves de plus longue durée, telle la grève des mineurs à Laurion, en 1929, qui semble avoir été organisée par le Parti communiste.

Nous ne devons cependant pas exagérer et faire un mythe. Le travail de l’historien est de rassembler les sources, les soumettre à la critique, de soulever des questions et de reconstituer le passé. Mes recherches sur la plupart des grèves a illuminé des aspects inconnus ou mal connus de l’action collective des mineurs et a tenté de dissiper certains mythes au sujet des grèves qui sont apparues dans la littérature non-universitaire comme celle-ci des  «soviets des travailleurs ». 

La grève des mineurs de Sérifos qui a eu lieu en 1916, au milieu de la Première Guerre mondiale et qui impliquait un contingent français patrouillant dans la zone maritime des Cyclades, est un exemple typique d’une grève qui a pris des dimensions de mythe par l’utilisation de certains partis politiques. Lors des affrontements avec la gendarmerie, quatre travailleurs et deux officiers ont été tués. Constantin Speras, initiateur de la grève est considérée comme une figure très controversée.  Ma recherche tente de restaurer la séquence temporelle des événements, afin de mieux éclairer certains aspects de la grève et les développements après cet événement, et remettre en question les stéréotypes anhistoriques sur la « victoire du travail » ou « du pouvoir ouvrier » qui caractérisent cette course selon la vue dominante.

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A gauche: Le statut de fondation de l’Union des mineurs de Serifos (1916). A droite: Le syndicaliste Constantin Speras.

Des ingénieurs grecs des mines (Negris, Protopapadakis, Charitakis, etc.), étaient diplômés de l’Ecole des Mines de Paris et avaient eu des contacts avec les idées socialistes, le saint-simonisme, etc. Comment cela a-t-il affecté d’une part, la formation de leur identité professionnelle et, d’autre part, les politiques de l’État ?

Les diplômés de la célèbre Ecole des Mines de Paris étaient en effet plusieurs minéralogistes grecs, principalement des bourgeois dont les familles pouvaient financer leurs études à Paris. Ceux-ci disposaient d’une excellente formation à la métallurgie, mais ont également étudié l’économie politique, l’économie industrielle, la sociologie et l’administration.

Nous savons que les études d’ingénierie en France ont été façonnées par des circonstances historiques particulières et ont été fortement influencées par l’héritage des Lumières. Le saint-simonisme a beaucoup influencé les étudiants de l’Ecole des Mines. Dans ce vaste contexte scientifique et politique de l’Ecole des Mines ont également étudié les ingénieurs miniers grecs, certains d’entre eux étant également engagés dans la politique.

A la fin du 19ème siècle et au début du 20ème siècle, les diplômés de l’Ecole des Mines, Phocion Negris (1846-1928) et Petros Protopapadakis (1860-1922) ont revendiqué un rôle actif dans la vie politique de la Grèce (maires, parlementaires, ministres), et se sont intéressés systématiquement à la protection et la sécurité des mineurs, l’introduction de la sécurité sociale, la régulation des relations industrielles, la politique sociale, l’amélioration du niveau de vie des classes inférieures, l’amélioration de la santé publique et de l’éducation.

Grâce à leurs activités, en fonction de leurs connaissances scientifiques et de l’expérience qui découlaient de l’environnement où ils travaillaient, leur intérêt s’est orienté non seulement  vers la modernisation technologique et organisationnelle des entreprises, mais aussi vers la modernisation de l’État et la société grecque. Même s’ils n’étaient pas partisans du saint-simonisme – avec qui ils sont venus en contact au cours de leurs études – Petros  Protopapadakis en effet, avait même rencontré Gustave d’ Eichthal – cependant assurer la cohésion sociale a été une préoccupation constante pour les deux ingénieurs et politiciens. Ils croyaient que la science et la technologie contribueraient au développement économique et industriel de la Grèce et que celles-ci, à leur tour devaient assurer l’amélioration des conditions de vie des populations et le maintien de la paix sociale et de classe. Cependant, aucun des minérologues grecs n’avait d’idées socialistes.

L’entre-deux-guerres, un autre diplômé de l’Ecole des Mines, Thémistoklis Charitakis incarne l’intérêt des techniciens et du monde bourgeois pour la rationalisation, la croissance de la productivité et la gestion des relations industrielles. Charitakis a systématiquement tenté d’introduire les méthodes d’organisation scientifique du travail en Grèce, reliant son nom à la version grecque du «modernisme réactionnaire» dans les années 1930.

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Les diplômés de l’Ecole des Mines de Paris, Phocion Negris (gauche) et Petros Protopapadakis.

Quel est le rôle des femmes et des enfants dans un milieu professionnel surtout masculin? Comment la division du travail affecte-t-elle les relations entre les sexes et les politiques publiques concernées ?

La zone minière est en effet un espace surtout « masculin ». Mais les femmes et les enfants travaillaient aussi dans les mines. L’intégration des membres de la famille dans les marchés du travail des mines était fondée sur des stratégies familiales, qui étaient différentes pour les hommes et les femmes. L’organisation du travail minier était basée sur des divisions de genre et sur des groupes de travail de sous-traitance, employant souvent des membres de la même famille.

La loi minière de 1910 interdisait le travail des filles et des femmes dans les travaux souterrains ou de nuit dans les mines et les fonderies, et stipulait que les enfants de moins de 12 ans ne pouvaient être utilisés que pour le tri des minerais. Cette législation a introduit les premiers obstacles au travail des femmes et des enfants dans les mines. Ainsi, une politique spécifique de protection des catégories spéciales de travailleurs dans les mines et les fonderies, deux ans plus tôt que la protection institutionnelle du travail des femmes et des enfants (avec la loi de 1912 sur «le travail des femmes et des mineurs), a été créée. L’exclusion des femmes du travail souterrain et du travail de nuit dans les mines renforçait en pratique la position des hommes, tant sur le marché minier, à une époque où le secteur commençait à connaître des crises, que dans la division du travail dans la famille.

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Des femmes et des hommes aux mines à Limni, Eubée, début du 20e siècle. Source: Collection de Yiannis Fafoutis.

Quelles sont les principales sources que vous avez utilisées pour traiter les sujets abordés ?

J’ai travaillé avec des sources diverses et variées, provenant des archives en Grèce et en France. Comme en Grèce on n’a pas accès aux sources  unifiées afin d’étudier le sujet en question dans toute son ampleur, je devais faire des recherches combinatoires dans de nombreux documents privés et publics relatifs aux activités de l’Inspection des mines et d’autres entités de l’Etat, des entreprises, du Fonds minier, des ingénieurs etc.

Les recherches se sont menées principalement dans les Archives générales, les archives historiques de la Banque Nationale de Grèce, les Archives littéraires et historiques de Grèce, la Chambre technique de Grèce, mais aussi dans de sources publiées (débats parlementaires, publications techniques, littérature, etc.). J’ai également étudié des archives françaises: les Archives du Ministère des Affaires étrangères et les Archives Nationales ont été extrêmement utiles pour étudier l’intérêt des capitalistes français dans les réseaux de minerais grecs et mieux comprendre les réseaux d’affaires. Les excellentes archives de l’École Nationale Supérieure des Mines de Paris m’ont donné l’occasion de tracer le profil des étudiants grecs, les futurs ingénieurs des mines, qui y ont étudié aux XIXe et XXe siècles.

Des villes telles que Laurion et de nombreuses îles grecques (Naxos, Milos, Serifos, etc.) ont été créées en tant qu’installations industrielles autour des mines. Quelles sont les caractéristiques de ces lieux et quel est l’intérêt de la mise en évidence de leur histoire aujourd’hui ?

En Grèce, on voit des vestiges matériels, vestiges des activités d’exploitation minière du 19e et 20e siècle dans de nombreux endroits: petites ou grandes installations, les escaliers de chargement, convoyeurs, rampes, ferroviaire, aérien, piliers de chemin de fer, les fours, les concasseurs, les logements sociaux … Avec l’exception de Laurion qui est dans sa totalité, une ville-monument de l’activité minière et métallurgique, on peut repérer  le reste des matériaux de l’activité minière que l’on rencontre à ce jour sur presque toutes les îles de la mer Égée, Eubée, Chalcidique, Fthiotida, Fokida, Argolida, Messénie, et de nombreux autres endroits. Les touristes d’été voient des escaliers de chargement et d’autres vestiges matériels sur les rives et à l’intérieur des îles, qu’ils ne reconnaissent souvent pas, ils ne savent pas de quoi il s’agit. Les restes matériels m’ont forcé à commencer à chercher leur histoire.

Un autre type de tourisme de haute qualité, le tourisme minier, pourrait être développé dans les anciennes zones minières: marquage des zones et des monuments, des itinéraires spéciaux et des visites. Je pense que ce type de tourisme dans les anciennes installations minières aurait contribué au développement de la mémoire historique de ces zones. Rappelons que Mykonos, Sifnos, Paros, Antiparos et Santorini, avant de devenir des destinations mondialisées et homogénéisées pour le tourisme de masse, avaient une activité minière importante (ainsi que des activités d’expédition et d’élevage) qui donnait du pain aux familles de l’île. Cette identité des petits lieux risque d’être perdue.

* Interview accordée à Magdalini Varoucha | Traduction du grec : Nicole Stellos-Magdalini Varoucha

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 Chevalement de mine, Caldeira de Santorin.
M.V.