Dimitris Kerkinos a fait ses études en  Cinématographie à l’Université du Manitoba, au Canada. Sa thèse de doctorat portait sur “La société et le cinéma à Cuba des années 1990” pour le Département d’Anthropologie sociale de l’Université de la mer Égée, en Grèce. Il a rejoint le Festival international du film de Thessalonique en 1999. Depuis 2002, il est responsable de la section «Balkan Survey », et il est également responsable de la programmation du Festival du Documentaire depuis 2016.

Interviewé par notre édition anglophone Greek News Agenda,  Kerkinos parle des temps forts du Festival du Documentaire de Thessalonique (2-11.3.2018), et réfléchit sur le statut actuel du documentaire grec depuis la création du Festival en 1999, à l’occasion du vingtième anniversaire du Festival.

Quelle est le focus du Festival cette année?

Comme chaque année, le Festival du Documentaire de Thessalonique se concentre sur le monde qui nous entoure et puise dans sa diversité et ses expériences. À travers les films sélectionnés, la programmation du Festival vise à voir au-delà de la surface des choses, à reconstruire la réalité élaborée de manière créative par les réalisateurs, permettant au public de voir une image différente de celle des médias. Le Festival vise également à faire réfléchir les spectateurs sur des sujets qui, d’une manière ou d’une autre, les intéressent.

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Pourriez-vous nommer quelques points saillants du Festival?

En ce qui concerne la programmation internationale, nous visionnerons 164 films étrangers, dont 27 courts. Il y aura 13 premières – 6 internationales, 2 mondiales et 5 européennes. Nous allons également projeter 78 films grecs, dont 25 courts. Le principal hommage du Festival est à la réalisatrice française éminente Agnès Varda avec dix documentaires. Son dernier film, “Faces, Places”, sélectionné pour l’Oscar du meilleur documentaire, sera le film d’ouverture. Il y aura un hommage aux anthropologues – les cinéastes Verena Paravel et Lucien Castaing-Taylor avec six films, dans la section “Film Forward”. Il y a aussi un hommage à l’année 1968, avec des films qui dépeignent les événements qui ont marqué cette année légendaire ou qui tentent de réévaluer son héritage.

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Nous nous concentrons sur la cinéaste américaine indépendante Sara Driver dans la section “Carte blanche“.  La “Carte blanche” est une nouvelle initiative, dans laquelle l’invité d’honneur est appelé  à  sélectionner certains de ses films préférés. La Carte blanche de cette année est la deuxième au Festival ; la première a été donnée à Dimitris Eipides. Sara Driver a choisi onze films importants. Nous avons un marathon toute la nuit avec des films musicaux sur les groupes de musique des années 1990. La section  “Compétition internationale” qui présente le premier ou le deuxième film des réalisateurs, comprend onze  films, dont deux grecs. Et viennent ensuite des sections thématiques: “Kaléidoscope”, qui comprend des histoires personnelles et des portraits, “Droits de l’homme”, “Histoire et Mémoire”. “Habitat” projette des films environnementaux mais aussi des films sur la façon dont les humains interviennent culturellement sur l’environnement. “Film Forward” est une section composée de films qui expérimentent avec la forme. Nous avons également des sections sur la musique, le cinéma, la nourriture et les enfants. Enfin, le “Panorama grec” présente la production documentaire grecque de cette année, tandis que la section “Brave New World” se concentre sur les films traitant des technologies et de l’innovation.

L’édition 2018 accueille les films de nombreux cinéastes importants, dont “Napalm” de Claude Lanzmann, “Ex Libris: New York Public Library” de Frederick Wiseman et “Piazza Vittorio” d’Abel Ferrara. Il y a deux films de Barbara Kopple, “This is Everything: Gigi Gorgeous” et “A Murder in Mansfield”, le dernier film de Denis Côté, “A Skin So Soft”, ainsi que “The Dead Nation” de Radu Jude. Nous présenterons également des cinéastes inconnus du public de Thessalonique, comme Emmanuel Gras (“Makala”, décernéau Festival de Cannes l’année dernière), “The Other Side of Everything” de Mila Turajlic (Documentaire du  meilleur long métrage au Festival du Film documentaire Amsterdam) et “Filmworker” de Toni Ziera, entre autres.

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C’est le vingtième anniversaire de la création du Festival en mars 1999 par Dimitris Eipides. Que pouvez-vous nous dire sur son évolution?

Le festival a parcouru un long chemin. Je me souviens du moment où le Festival venait d’être établi, beaucoup de gens ne pouvaient pas comprendre quel genre de films seraient projetés. S’agirait-il d’une sorte de films comme ceux de National Geographic? Ou des films télévisés “éducatifs” ennuyeux? À l’époque, les gens ne pouvaient pas imaginer que le documentaire soit un genre dynamique qui puisse incarner une approche différente et utiliser une narration créative qui diffère des documentaires télévisuels habituels. Pendant ces vingt années, le festival a promu le travail de nombreux documentaristes renommés et a présenté à son public les films de nombreux autres cinéastes importants. Le Festival a ainsi joué un rôle éducatif majeur et familiarisé son public avec les nouvelles tendances du genre documentaire. De nos jours, nous pouvons affirmer qu’il existe un public très éduqué qui apprécie les documentaires et, dans une certaine mesure, peut les préférer à la fiction. Le parcours a été long et créatif et, cette année, nous célébrons son vingtième anniversaire et nous sommes très heureux que notre festival bénéficie d’un tel statut international.

Comment progresse le documentaire grec dans les Balkans?

Les documentaires grecs fleurissent, tant en qualité qu’en quantité.Le nombre de productions ainsi que leur qualité ont montré une augmentation importante.Dans le passé, la plupart des documentaires grecs avaient une approche télévisuelle principalement journalistiqueet étaient produits en conséquence. De nos jours, les documentaristes grecs sont plus audacieux et plus internationaux dans leurs thèmes. Ils travaillent sur leurs sujets de manière plus créative et cinématographique, attirant non seulement l’intérêt de la télévision mais aussi des festivals importants – qui accordent une plus grande attention au langage cinématographique, à la façon dont un cinéaste traite son sujet. Leur participation à des festivals acclamés est certainement un indicateur de la qualité de leurs films – qui parviennent à présenter des thèmes forts avec une originalité artistique. Des documentaristes tels que Kimon Tsakiris, Apostolos Karakasis, Eva Stefani, Angelos Rallis, ont été sélectionnés par l’IDFA (ndlr: International Documentary Filmfestival Amsterdam), le festival documentaire le plus prestigieux au monde. Mais en dehors d’eux, il y a plus de cinéastes dont le travail a attiré l’attention des festivals internationaux non seulement dans les Balkans (comme “The Grocer” de Dimitris Koutsiabasakos qui a été projeté à Sarajevo) mais partout en Europe: par exemple, la première du film de Christos Karakepelis “The House of Cain” a eu lieu a la Berlinale, tandis que “Raw Material” a eu sa première projection au Festival de Karlovy Vary.”Mustafa’s Sweet Dreams” d’Angelos Abazoglou ou “To the Wolf” / “Sto Lyko” d’Aran Hughes et Christina Koutsospyrou ou “Exotica, Erotica” et “Obscuro Barocco” d’Evangelia Kranioti sont tous présentés à la Berlinale.”Obscuro Barocco”aégalement reçu le prix Teddy Jury à la 68e Berlinale. “The Longest Run” de Marianna Economou à Leipzig, “Return to Aiolou Street” à Oberhausen et “Spectres are Hunting Europe”,pour n’en citer que quelques-uns.

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Pourriez-vous nommer cinq de vos documentaires grecs préférés?

Seulement cinq? D’accord, les voici: “Exotica, Erotica, Etc.” d’Evangelia Kranioti, 2011, “Raw Material” (Proti yli) de Christos Karakepelis, 2011; “National Garden” (Ethnikos Kipos) d’Apostolos Karakasis, 2009; “Baigneurs “(Louomenoi) par Eva Stefani, 2008, Ilias Petropoulos;  Un monde souterrain “(Enas kosmos ypogeios) de Kalliopi Legaki, 2005.

Est-ce que l’épanouissement du film de fiction grec durant les dernières années a influencé le genre du documentaire grec?

Ce que certains critiques appelaient “Greek Weird Wave” concernait surtout la fiction. Les films de Weird Wave insistent sur l’aspect personnel au-dessus du contenu politique ou social, ilss’intéressent à un micro,plutôt qu’à une macro-histoire et sont indifférents à la question de la “grécité”.Ils enregistrent la pathogénie de la société et mènent une attaque directe contre ses valeurs.Elles mettent en évidence les fondations en décadence, l’hypocrisie, le manque de vision sociale, le fonctionnement problématique des familles, l’identité contemporaine et les crises morales, la quête d’une nouvelle identité (masculine ou féminine). Ils ont également impliqué un changement majeur dans le langage cinématographique.Jusqu’à ce point, il y avait une tendance qui suivait l’esthétique d’Angelopoulos, c’est-à-dire un cinéma historiquement orienté, poétique, allégorique et introverti. Cela a changé avec l’émergence de Lanthimos. Les films grecs contemporains utilisent le réalisme comme point de départ pour le pousser à ses limites ou pour expérimenter avec différentes formes,créant des styles et des hybrides de genres, faisant des films purement d’art et essai, ayantassimilé ses influences. Mais tous ces changements dans le langage cinématographique ont été exprimés principalement dans les films de fiction et non dans le documentaire.  Iln’y a pas eu de changement similaire dans le documentaire grec en ce qui concerne le langage cinématographique. Il y a des documentaires grecs originaux et très créatifs mais il n’y a pas de vague distinctive, un style distinctif comme c’est le cas avec Weird Wave.

m.o.

Traduction de l’anglais: N.S.

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