Christos Ikonomou, jeune auteur ayant lié son nom à la crise qui a traversé la société grecque au cours de ces dernières années est l’un des écrivains les plus traduits à l’étranger. Εn français, on trouve  ses ouvrages: Ça va aller, tu vas voir (Quidam, 2016) et Le salut viendra de la mer (Quidam 2017), traduit du grec par Michel Volkovitch. GrèceHebdo reprend ici une interview* d’ Ikonomou accordée à GreekNewsAgenda/ Reading Greece

 
 
Qu’est-ce qui vous a poussé à devenir écrivain ? D’où puisez-vous votre inspiration ?

Eh bien, toutes ces choses sont encore un mystère pour moi. Je suppose que j’ai cette impulsion inexplicable, irrésistible et écrasante de créer mon propre monde et de raconter les histoires des gens qui y vivent. Après toutes ces années, je suis arrivé à la conclusion que l’écriture (et la lecture) me donne le plaisir fascinant de vivre plus d’une vie. J’ai une approche apophatique, plutôt mystique de l’écriture. Je veux dire, la première chose qui me vient à l’esprit quand quelqu’un me demande comment ou pourquoi j’écris de telle ou telle manière, ou d’où je tire mon inspiration, c’est « eh bien, je ne sais pas ». Quand j’écris, j’ai l’impression d’être dans un état de transe, dans un état d’extase. Il m’est très difficile de rationaliser ou d’expliquer par la suite comment ou pourquoi j’ai fait ce que j’ai fait. Peut-être ce n’est pas pertinent, mais je pense que c’est une des raisons pour lesquelles je tiens ces deux grands mots: « Faites confiance au conte, pas au raconteur» (DH Lawrence) et « On ne peut rien écrire de lisible sauf si on se bat pour effacer sa propre personnalité » (George Orwell).

 
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Graffiti, artiste: Leonidas Giannakopoulos. Eleusina, 2016.
 
Votre livre Ça va aller, tu vas voir a reçu des critiques élogieuses, caractérisées comme “le Decameron de la crise”. Quels sont les thèmes principaux de vos histoires ? Qu’est-ce qui rend ces histoires si opportunes ?
 
Pour autant que je puisse le dire, le thème principal des histoires est la lutte constante pour rester un être humain dans un monde qui devient, de jour en jour, de moins en moins humain. Ce que j’essaie de faire, c’est d’écrire sur des choses significatives d’une manière authentique et significative. J’essaie d’écrire sur des sujets de vie et de mort. Et j’essaie de faire toutes ces choses d’une manière qui plaira aux lecteurs, peu importe s’ils soient Grecs ou quoi que ce soit. Je pense que ces histoires sont opportunes, car elles ne concernent pas seulement la crise grecque, mais elles abordent de nombreuses questions plus universelles et intemporelles.
 
ca va aller CollageQu’est-ce qui vous a amené à choisir le Pirée comme cadre de votre livre et les gens de la classe ouvrière comme protagonistes ?
 
J’avais toujours pensé que, bien qu’il soit le principal port de Grèce et l’un des plus grands ports du monde, le Pirée reste terra incognita pour beaucoup de gens, grecs ou autres, car ils y arrivent juste pour prendre le ferry pour accéder aux îles en mer Égée. J’ai donc pensé qu’il serait intéressant d’écrire quelque chose sur un lieu à la fois connu et inconnu. Quant aux personnages, je m’intéressais moins à leurs antécédents économiques ou sociaux et plus à leurs compétences de survie. Être pauvre est un défi à plusieurs niveaux, et je voulais explorer autant d’aspects de ce défi que je pouvais.
 
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Graffitis, Athènes: Ino (à gauche), Dimitris Taxis (à droite).
 
Votre livre a déjà été traduit en six langues alors que votre tournée promotionnelle américaine vient de se terminer. Comment le livre a-t-il été reçu par différents publics? Pensez-vous que la crise économique a ravivé l’intérêt pour la littérature grecque ?
 
Je ne suis pas sûr qu’il y ait eu un regain d’intérêt pour la littérature grecque en général, mais je sais que beaucoup de gens, en Europe et ailleurs, essaient de comprendre ce qui se passe en Grèce ces dernières années et ils cherchent des réponses dans les œuvres littéraires, puisqu’elles ne se contentent pas de ce que les médias ou les politiciens et les bureaucrates disent de la crise. Mais ce qui compte le plus pour moi, c’est que de nombreux lecteurs étrangers se soient intéressés au livre d’une manière qui dépasse la crise. C’est très intéressant et, bien sûr, plutôt encourageant.
 
Il a été écrit que vos histoires semblent “refléter la résilience de l’esprit humain, capturant cet aspect insaisissable mais crucial dans la condition humaine: l’espoir”. Y a-t-il un espoir pour la société grecque? Quel est le rôle que la littérature – et les écrivains en particulier – sont appelés à jouer en ces temps de crise ?

Pour paraphraser les fameuses paroles de W.H. Auden, « nous devons espérer ou mourir ». Mais, vous savez, l’espoir n’est ni un sentiment ni un concept abstrait. Ce n’est pas quelque chose qui existe en dehors de nous ou loin de nous. L’espoir n’est pas un slogan politique, un gadget publicitaire ou un mot à la mode dans les livres d’autothérapie. L’espoir est notre propre création. Nous créons de l’espoir par toutes les choses que nous choisissons de faire ou de ne pas faire. L’espoir est peut-être l’arme la plus puissante contre la peur de la mort. L’espoir est la résistance contre l’oppression de l’esprit humain par peur de la mort. C’est exactement ce que j’essaie de faire: parler pour l’espoir, pas par peur de la mort. Parler pour la vie, pas pour la mort. En ce qui concerne le rôle de la littérature – eh bien, j’essaie de ne pas généraliser à propos de ces questions, alors je ne parlerai que de moi. À une époque comme celle-ci, je dois rassembler mon courage et écrire sur une vérité spécifique qui peut être extrêmement douloureuse et dérangeante mais, comme cela arrive avec toutes sortes de vérités, elle nous libèrera finalement: la vérité sur qui nous sommes vraiment versus qui nous pensons que nous sommes, ou qui nous voulons être.

 
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Avez-vous un nouveau livre en cours ? Qu’est-ce que vos lecteurs peuvent attendre de vous dans un proche avenir ?
J’essaie d’écrire la deuxième partie d’une trilogie de nouvelles sur un groupe d’ex-citadins grecs, qui sont forcés, après l’éclatement de la crise économique, de déménager sur une île égéenne (la première partie a été publiée en 2014). Mais je ne crois pas que ce sera terminé bientôt – je suis un écrivain douloureusement lent car j’ai besoin de temps pour croire en ce que j’écris et la seule façon de le faire est de réécrire. Vous voyez, c’est ce que je fais, après tout: je n’écris pas, je réécris.

* Propos recueillis par Athina Rossoglou. Traduit par Nicole Stellos

 
 
M.V.
 
 

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