Mathieu Touzeil-Divina est Professeur de droit public à l’Université Toulouse Capitole – Faculté de Droit – Institut Maurice Hauriou. Il est Président du Collectif l’Unité du Droit et Fondateur du Laboratoire Méditerranéen de Droit Public. A propos d’ un colloque organisé par le Laboratoire Méditerranéen de Droit Public en collaboration avec le Centre National d’ Administration Publique et Territoriale et le Conseil d’ Etat grec les 19 et 20 octobre à Athènes, sous le titre “Service(s) public(s) en Méditerranée, Mathieu Touzeil Divina a parlé à GrèceHebdo.

Quels sont les objectifs principaux du Laboratoire Méditerranéen de Droit Public ?

Le Laboratoire méditerranéen de droit public (LM-DP) est une association comprenant à ce jour douze équipes (fixes ou en constitution) dans le bassin méditerranéen (en Algérie, à Chypre, en Egypte, en Espagne, en France, en Grèce, en Italie, au Liban, au Maroc, en Syrie, en Tunisie & en Turquie) soit près de la moitié des vingt-trois pays formant le bassin méditerranéen.

Notre premier objectif, outre la connaissance des droits publics en Méditerranée (ce qui est parfois difficile car ses sources ne sont pas toujours diffusées), est de « Comparer les comparaisons ». En effet, au cœur du (des) pluralisme(s) juridique(s), le LM-DP poursuit les buts suivants : comparer les comparaisons et proposer, à terme, le premier Traité méditerranéen de droit public. La comparaison des comparaisons met alors en lumière(s) non seulement les points communs et différences des études, mais également leurs a priori et préjugés idéologiques éventuels, les différences potentielles de systèmes juridiques et de formations, etc.  A cette fin, le LM-DP ne prône pas et ne cherche pas à démontrer les bienfaits d’un prétendu droit universel public ainsi qu’il a pu être espéré ou rêvé autrefois (notamment sous les périodes de colonisation et dès la « romanisation » idéalisée d’un jus commune). Il cherche à comprendre et à analyser une éventuelle harmonisation des droits et non à démontrer un universalisme.Mais, le LM-DP est avant tout une très belle aventure humaine. Fruit de rencontres et d’ambitieux projets, il s’est vite trouvé une vitesse de croisière (depuis sa création en 2012) et est résolument tourné vers l’avenir et la fraternité.

Bref, nous sommes une association de juristes – essentiellement de droit public mais pas seulement- qui cherchons à se connaître, à échanger, à étudier le ou plutôt les droits publics méditerranéen.

laboratoire toulouse

Qu’est-ce que vous entendez par le terme « droit public méditerranéen »?

Précisément la question n’est pas simple du tout ! Et elle a d’ailleurs fait l’objet de notre premier colloque international à Rabat (octobre 2015 ; actes publiés et présentés en ligne ici : http://lm-dp.org/rmdp/rmdp-v-existe-t-il-un-droit-public-mediterraneen-2016/) … Or, comme le soulignait l’une de nos membres à l’issue de nos recherches (Mme ESPAGNO-ABADIE) : « A l’issue de ces travaux, riches d’enseignements et de réflexions, la question fondatrice relative à l’existence ou pas d’un droit public méditerranéen ou de droits publics méditerranéens, reste, non pas entière, mais sans réponse évidente. Les nombreux travaux et discussions qui ont donné lieu à la réalisation de cet ouvrage démontrent avec certitude, non seulement l’acuité de la question posée, mais également la difficulté à lui apporter une réponse définitive mais il n’y a là qu’un constat normal en matière de recherche en sciences sociales ».

Ce qui est certain c’est qu’il existe manifestement (et d’après nos premières recherches) des droits publics dans chaque pays ou contrée méditerranéenne. Il existe donc assurément des droits publics méditerranéens (au pluriel) mais parmi eux apparaissent déjà (par exemple en matière de justice(s) de droit public, de libertés, d’état de droit, de revendications démocratiques, de valeurs, de présence de la puissance publique ou encore du service public) de nombreux points communs.

Certains envisagent donc l’existence d’un éventuel droit public méditerranéen au singulier mais il est encore trop tôt pour en cerner tous les contours, tous les tenants et les aboutissants, toutes les subtilités et spécificités. C’est l’avenir qui nous renseignera donc une fois levés de nombreuses difficultés linguistiques, historiques, culturelles, épistémologiques, etc. !

Vous aimez citer la phrase du noveliste grec Christos Ikonomou « le changement viendra de la mer ». Qu’est-ce que la Méditerranée représente pour vous ?

A titre professionnel (dans le cadre des échanges du Laboratoire Méditerranéen de Droit Public) mais aussi – sinon surtout – à titre plus personnel, j’aime à croire que la Méditerranée est notre berceau commun. Elle nous sépare selon la rive où nous nous situons d’est en ouest, de Toulouse et de France et d’Europe où je réside, à Athènes mais aussi du nord au sud vers le Maghreb et le Machrek notamment. Elle nous divise, elle nous oppose et nous sépare physiquement : géographiquement : c’est un fait indéniable.

Et pourtant ! Combien elle nous unit tout autant sinon plus ! C’est d’ailleurs ce sentiment d’une absence de « fracture » entre Orient et Occident (pour reprendre la belle image et idée de Georges Crom qui évoque une « fracture imaginaire »), entre Europe et Afrique et Asie réunis par la Méditerranée qui est le ciment premier du Laboratoire Méditerranéen de Droit Public : unecertitude ressentie d’une évidente liaison entre les peuples, entre les âmes parfois.

En s’intéressant aux religions, à l’histoire, aux langues, à la Culture et donc au Droit(s) ce sentiment devient encore plus évident. Partagez un café, un thé, quelques olives et des figues avec des Méditerranéen.ne.s et vous verrez que les liens et points communs entre un.e Grecque et un.e. Egyptien.ne, entre un.e Espagnol.e. et un Tunisien.ne, entre un.e. Libanais.e. et un Français.e sont bien tangibles !

C’est d’ailleurs pour cela que notre symbole est un olivier ! Lui aussi nous réunit malgré ses racines multiples. L’unité n’exclut jamais la diversité !

Dans le contexte actuel de la mondialisation économique, quel avenir peut-on imaginer pour le(s) service(s) public(s)?

C’est exactement l’objet – notamment – de la seconde rencontre du Laboratoire Méditerranéen de Droit Public suite au colloque d’Athènes des 19-20 octobre 2017.

Les participant.e.s selon leurs convictions politiques n’ont évidemment pas toujours eu la même réponse à cette question mais il est apparu, même chez les plus libéraux ou réticents à un rôle fort de l’Etat (y compris dans l’économie), que chacun.e affirmait le service public comme une donnée importante sinon indispensable aux pays méditerranéens.

En témoigne la Charte ou déclaration d’Athènes adoptée par notre directoire et présentée ici : http://lm-dp.org/declaration-dathenes-directoire-du-lm-dp/

Propos recueillis par Costas Mavroidis

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