Nous avons rencontré le poète Stéphanos Papadopoulos au cours d’ un de ses brèves séjours à Athènes pour parler de son œuvre  (son livre Black Sea, primé avec Jeanette Haien Ballard Writer’s Prize, vient d’apparaître en grec, éditions Kastaniotis) mais aussi de son père Nonda à l’occasion de l’exposition  «Le Paris de Nonda» qui se poursuit jusqu’au 31 mars au Musée de la ville d Athènes.
 
Peintre fringant qui tire son inspiration de plusieurs sources, Epaminondas (Nonda) Papadopoulos (1922-2005) appartient aux artistes légendaires de sa génération. En 1947, jeune boursier de l’Institut Français, il quitte l’Athènes d’après-guerre contre l’avis de son père, pour explorer minutieusement Paris pendant presque 40 ans. Membre de l’École de Paris depuis 1956, il fait la connaissance de nombreux  artistes de l’époque et laisse son tempérament explosif libre, soit en plein air avec  ses expos sous le Pont Neuf  soit avec ses «peintures de sang» dans les Halles de Paris et ses nuits avec les parisiens de Montmartre. Bref, Nonda vit sa propre odyssée en France comme l’écrit  Georges Picard dans son livre sur lui. Cependant, Nonda reste relativement inconnu en Grèce. Cela pourrait être attribué au fait qu’il a mené une vie similaire à celle des personnages étranges de son œuvre à savoir une vie solitaire et à la fois passionnée. Au cours des dernières années de sa vie, les histoires qui le veulent rechercher ses sculptures perdues dans les décharges d’ Attique, suite à une série d’incidents tragiques de mauvaise administration qui ont conduit à leur perte, font leur propre écho. La vie «volcanique» de Nonda (décrit ainsi par le critique d’art JP Crespelle) qui n’a jamais cessé de chercher l’impossible à travers des matériaux originaux et difficiles, semble faire partie d’un immense tableau vivant qui inclue aussi son fils Stéphanos. Ce dernier partage son temps en cherchant des mots et des matériaux terrestres entre Oregon et Athènes, alors que sa soeur Joanna est la curatrice de l’expo au Musée de la ville d’Athènes.
Stéphanos Papadopoulos a répondu aux questions de GrèceHebdo*.
 
– Votre père, Epaminondas (Nonda) Papadopoulos, s’est trouvé à Paris en 1947, où il a vécu et travaillé pendant de nombreuses années. Est-ce qu’il parlait souvent de cette période de sa vie? Quels sont, à votre avis, les moments les plus marquants de votre séjour en tant que peintre en France?
nondas peinting
Mon père était un personnage hors du commun, mais aussi un homme de contrastes, anti-conventionnel et traditionnel, à la fois. Paris, à l’époque, était le centre du monde d’art, une ville connue pour le respect de la tradition et la recherche de la rénovation continue, aussi donc une ville de contrastes. Je pense qu’ être là dans l’après-guerre donnait à mon père le sentiment d’une grande liberté et plus généralement de la confiance en lui-même. En même temps, tout cela n’était pas facile – il était isolé, il se trouvait tout seul et pauvre, dépossédé du minimum essentiel. Quant à son séjour à Paris, il y a quatre choses à l’ origine du changement de sa vie et de son mode de travail qu’ on peut retenir: les expositions sous le  Pont Neuf, le contrat avec la Galerie Charpentier, les viandes et les poissons des marchés des Halles où il a découvert le sang de vache comme un outil de travail, et enfin «last but non least» les parisiennes. Il y avait aussi des gens importants qui l’ont aidé et influencé comme l’artiste Dimitris Galanis, le poète Francis Carco et l’écrivain et homme d’Etat André Malraux.
Les expos sous le Pont Neuf étaient formidables. En regardant les photos de cette époque, on y voit Nonda seul mettant en place ces énormes toiles pour en construire un cheval et après il y habite à l’intérieur, en fabricant des meubles en bois qu’il tira de la Seine. Il a créé un tableau de 10 mètres pour François Villon en utilisant des chandeliers, des tables, des objets d’art…  Il était une source, une fontaine de créativité et l’échelle de cette création reste difficile à cerner aujourd’hui. On doit prendre en compte le contexte aussi: Nonda faisait tout cela à une époque où il n’y avait pas une scène de « Street Art »  (spectacles de  rue), il n’y avait pas de spectacles à n’ importe quel moment de la journée déroulés dehors. Tout cela était inhabituel, unique et très en avance par rapport à son temps. Par exemple, tout le monde sait que Christo a emballé le Pont-Neuf en tissu d’or dans les années ‘80, mais peu se rappellent que Nonda avait fait une expo sur le même endroit 20 ans plus tôt.
 
– Il ne fait guère doute que la relation de Nonda avec la Grèce était difficile: il n’est jamais devenu bien connu dans son pays d’origine, même s’ il était l’un des peintres les plus importants de sa génération. Et vous, dans un article, vous parlez de «la folie ‘amour-haine’ d’être grec». Vous pouvez nous en parler un peu de tout cela?
Tout le monde a des relations difficiles avec la Grèce – j’aime mon pays, mais nous sommes une nation taxée d’une myopie étonnante. Les Grecs les plus importants dans l’histoire ont été ignorés, humiliés, torturés ou tués par les Grecs eux-mêmes. J’ai écrit des articles sur ce sujet, car il s’ agit d’ une question qui me tourmente. Oui, cela ressemble à un état émotionnel semblable à une histoire d’amour à caractère sauvagement destructeur. On éprouve de la fureur, on se bat, on pardonne. C’est un scénario bien connu par tous et c’est bien dévastateur . Quand mon père est revenu de Paris en 1981, il a été complètement ignoré par le milieu artistique à Athènes.
Il était un peintre qui avait triomphé à Paris où il a été reconnu pour son travail, et par contre il n’y avait pas un seul musée d’Athènes avec une peinture de lui, et pas  une seule galerie intéressé par son travail. Et lorsque la galerie Epipeda se met d’ accord pour organiser une expo en 1986, les sculptures travaillées pendant dix ans et exposées sur la place de Dexameni à Kolonaki ont été disparues  lorsque le maire de l’époque, Miltiadis Evert, avait commandé  leur enlèvement! Six sculptures monumentales de béton et d’acier de plusieurs tonnes chacune ont été perdues ou jetées par la mairie d’Athènes et restent toujours manquantes, sans aucune réponse, ni compensation, rien du tout. Il s’agit d’une histoire quasi incroyable. L’indifférence qui a accompagné ces évènements, et l’absence totale de l’aide dans leur recherche de la part des gens des milieux artistiques à ‘Athènes ont  littéralement  conduit mon père vers la folie. Jusqu’à aujourd’hui, il n’y a  toujours pas une seule peinture de Nonda dans la Galerie Nationale. Donc, je dirais que mon père aimait la Grèce, mais cet amour n’était pasréciproque.
 
– Votre recueil de poèmes “Mer Noire”, inspiré par des histoires familiales des refugiés de Pontos, vient d’être publié en grec (Kastaniotis). Vous êtes  né en Caroline du Nord, vous avez grandi à Athènes et à Paris, aujourd’hui vous partagez votre temps entre Oregon et Athènes, vous écrivez en anglais, mais Athènes reste la ville que vous vous appelez «maison». Est-ce que la poésie constitue une sorte de pays pour vous? Est-ce qu’il est facile pour la poésie et le poète lui-même de s’ orienter vers d’autres univers?
black seaNikos Kazantzakis avait écrit:  «Les plus grands bienfaiteurs dans ma vie ont été les voyages et les rêves». Pour moi aussi, ne pas se sentir installé dans un seul endroit est devenu un état d’esprit, quelque chose qui m’empêche d’ être conformiste.  Une certaine agitation, la lutte incessante pour quelque chose de nouveau chez un artiste est quelque chose d’ indispensable. Quant à moi, j’ apprécie que mon père m’a appris de voir le monde à travers les yeux d’un artiste, d’avoir une appréciation presque sensuelle  de tout ce qui nous entoure. Il est extrêmement facile d’être distrait à l’ère d’internet, des médias sociaux, de la publicité, et des déchets de toute sorte qui abondent de nos jours- il faut faire un effort  pour rester vigilant et conscient de ce qui est beau. La poésie, le voyage, l’aventure,  ce sont les choses qui m’ont apporté la plus grande joie dans ma vie et m’ont donné les plus grandes leçons. Si l’acte de l’ écriture poétique prend la place d’une prière ou d’une méditation au sein de notre vie, cet acte ne nous trahira jamais. Je ne suis pas une personne religieuse, mais je crois dans la capacité de la poésie de transformer une personne sur le plan spirituel. La Grèce sera toujours ma maison, le paysage qui me manque le plus. Même si j’ai trahi ce paysage à plusieurs reprises, comme un amant infidèle qui part vers d’autres beaux rivages, j’y reviens toujours.
 
* Entretien accordé à Magdalini Varoucha
[Peintures: Nonda Papadopoulos]
 
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