La présence de migrants Grecs au Canada remonte à la première moitié du 19ème siècle ; dans ce contexte, la province canadienne du Québec et la ville de Montréal ont constitué dès les années 1840 un lieu de regroupement privilégié pour les premiers arrivants grecs – surtout par la voie des États-Unis ; mais il faudra attendre jusqu’aux années 1900 pour voir apparaître une vague migratoire au sens propre. En effet,  durant cette période, la migration grecque prit une ampleur importante, étant donné les conditions sociales et politiques averses en Grèce au tournant du siècle. En même temps, cette première vague fut facilitée par la politique migratoire canadienne de l’époque qui misait sur l’importation de main d’œuvre ouvrière (Chimbos 2009 [2004]). Ainsi, la période 1900-1920 signala la consolidation d’une communauté grecque au Canada et, en effet, Montréal abrita les premières associations communautaires grecques sur le sol canadien (en 1905), qui ont pris forme en parallèle à l’organisation d’activités religieuses (Chimbos 2009 [2004]). Une deuxième vague migratoire beaucoup plus massive a eu lieu dans la période de l’après-guerre et culmina dans les années 1960 ; ceci a conduit à l’augmentation de la population grecque au Canada qui, de 9.500 personnes en 1931 (Gavaki 2003) (dont 2450 au Québec, Brédimas-Assimopoulos 1983), comptait plus de 160.000 personnes en 1991, dont environ 57.000 habitaient au Québec – dans leur majorité écrasante à Montréal (Gavaki 2003). Aujourd’hui, environ 250.000 personnes s’identifient d’origine grecque au Canada, dont 69.000 au Québec (Statistics Canada 2011).

Immigrés, Prêtres grecs, environ 1908-1912, lieu inconnu (John Woodruff / Library and Archives Canada / PA-020913)

L’expérience Nord-américaine

Les trajectoires des migrants Grecs au Canada et au Québec renvoient en premier lieu à ce qu’on pourrait nommer l’expérience migratoire grecque sur le territoire Nord-américain (Canada et États-Unis) ; vagues migratoires successives plus ou moins organisées, participation dans des économies industrielles à expansion rapide, une concentration graduelle dans des environnements urbains et des stratégies d’ascension sociale aux résultats variés (efforts d’implantation dans le domaine de la restauration et des services, réseaux familiaux, ethniques et religieux, investissement familial dans l’éducation).

En retraçant l’histoire de la migration grecque au Canada, Peter Chimbos (2009 [2004]) note que la nouvelle vague migratoire de l’après-guerre a signalé pour les communautés grecques au Canada une série de changements, notamment des rapports conflictuels entre nouveaux venus et anciens migrants (voir aussi Stathopoulos 1971Bombas 1988Constantinides 2006), une distanciation par rapport aux anciennes structures religieuses, des nouvelles organisations communautaires à caractère séculaire, et des divergences politiques, surtout au sujet de la dictature militaire (1967-1974). En tenant compte du recensement de 1981, il semble que malgré des cas d’ascension sociale (surtout dans le domaine de la restauration et des services), les migrants grecs étaient encore surreprésentés dans le domaine de la main d’œuvre non qualifiée. En même temps, Chimbos notait l’augmentation au sein de la « deuxième génération » du nombre de diplômés universitaires travaillant dans des domaines spécialisés (Chimbos 2009 [2004], voir aussi Brédimas-Assimopoulos 1983).

À ceci on pourrait aussi ajouter la perspective de l’expérience migratoire féminine offerte entre autres par le travail d’Efrosini Gavaki (2003) qui met le point sur les conditions particulièrement exigeantes auxquelles ont du faire face les migrantes grecques tant en dehors que dans le foyer domestique (voir aussi Lock et Dunk 1990Florakas-Petsalis 2000).

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Montréal, Avenue du Mont Royal/Ouest, depuis rue Saint-Denis, 1952 (Source: Philippe Du Berger/ Archives de la STM/ Flickr.com, Licence: CC BY 2.0)

La particularité Québécoise

De tels travaux ne manquent pas de mettre en relief les similitudes du cas canadien et du cas étatsunien en ce qui concerne l’expérience de la migration grecque. En même temps, le cas du Québec présente une particularité par rapport aux États-Unis ou même le reste du Canada ; ceci découle du fait que le Québec constitue un environnement linguistique et politique complexe, abritant une majorité d’habitants francophone avec une identité québécoise distincte –historiquement à majorité de confession catholique – mais aussi une minorité d’habitants anglophone, concentrée pour sa plupart dans la ville de Montréal. La relation de la population francophone avec l’État fédéral canadien, et de même avec la langue anglaise, n’était pas exempte de différends symboliques, renvoyant souvent à des conflits politiques et économiques ; la population francophone était souvent considérée en tant que dominée par les élites anglophones. Ce contexte historique a donné lieu dans les années 1960 à un mouvement politique aux expressions partisanes, économiques et culturelles diverses, souvent connu sous le nom de Révolution Tranquille, qui a entraîné, entre autres, des réformes dans le système administratif canadien et québécois (Bombas 1988). En commençant par les années 1970, les nouvelles politiques de protection de la langue française et de l’autonomie politique et culturelle du Québec ne furent pas sans implications pour les populations de migrants qui étaient regroupées dans une troisième catégorie linguistique, celle des Allophones. Le cas des Allophones et leurs orientations linguistiques ont de fait constitué un nouvel enjeu politique. En même temps, durant cette période, on note l’augmentation rapide de la population grecque au Québec, une population qui de plus ne comptait désormais plus seulement des migrants mais aussi des étudiants, dans une période politique mouvementé en Grèce (surtout étant donné la Dictature des Colonels de 1967 jusqu’en 1974). C’est dans ce contexte que le cas de la population grecque et ses caractéristiques linguistiques, sociales et politiques a attiré l’attention de chercheurs grecs et canadiens en commençant par les années 1970.

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Les locaux de l’Association des Travailleurs Grecs à Mile End, Montréal, 2013 (photo par Bohemian Baltimore, source: Wikimedia Commons, Licence: CC BY-SA 4.0)

La problématique grecque dans l’environnement multilingue de Montréal

La sociologue engagée Nadia Brédimas-Assimopoulos fut une des premières chercheuses à introduire, entre autres, la problématique des pratiques linguistiques et la relation ambivalente des Grecs de Montréal par rapport à la francophonie dans le contexte des années 1970. À part l’usage du grec, les migrants Grecs se sont avérés traditionnellement orientés vers l’anglais, à l’instar d’autres communautés migrantes, ce qui, selon Brédimas-Assimopoulos (1983) s’expliquait en fonction de certains facteurs sociaux : une vision préétablie du Canada en tant que pays anglophone ; l’indifférence des francophones envers les nouveaux venus non-catholiques (qui étaient jusqu’en 1969 de fait exclus du système éducatif francophone centré autour de la Commission des Écoles Catholiques de Montréal et inscrivaient alors leurs enfants dans des écoles protestantes anglophones) ; et, finalement, le modèle d’immigration du type « parrainé », c’est à dire par la voie de famille déjà présente, qui ne demandait pas la connaissance du langage du pays d’accueil (ni l’enseignait) et qui, un fois le migrant sur place, conduisait celui-ci au choix de l’anglais, considéré comme la langue d’affaires dominante à l’époque (Brédimas-Assimopoulos 1983, voir aussi Maniakas 1983, Constantinides 2004). L’ancrage subséquent des migrants Grecs dans l’anglophonie semblait aussi exprimer une ambivalence politique et ethnique par rapport aux revendications culturelles québécoises et au spectre d’une soi-disant « francisation » complète ; cependant, Brédimas-Assimopoulos (1983) notait déjà une certaine adaptation linguistique et pratique de la communauté grecque aux nouvelles reformes introduites au lendemain de la Révolution Tranquille. De même Theodoros Maniakas soulignait que, à l’encontre de la réticence des vieux migrants, les jeunes issus de familles grecques faisaient preuve d’un réalisme d’adaptation linguistique aux nouvelles conditions étant donné que « times have changed » (1983). Plus généralement, des études comparatives avec d’autres groupes de migrants plus intégrés dans la francophonie, tels qu’Italiens (Paillé 1981) ou Portugais (Veltman 1985), semblaient aussi suggérer à l’époque un débat  étendu sur la question des Allophones, en référence au futur linguistique du Québec. En tout cas, ces recherches confirmaient l’orientation linguistique de la population grecque de Montréal vers l’anglais, sans toutefois exclure une connaissance adéquate du français parmi les nouvelles générations.

L’impact des années 1960 et le cas de l’école Socrates

Cette adaptation linguistique et institutionnelle durant cette période est succinctement démontrée à travers le cas de l’école primaire Socrates. Cette école historique de la communauté grecque fut initialement fondée en 1925 par des membres de la communauté grecque de Montréal qui étaient affiliés avec le mouvement Vénizeliste en Grèce en tant que contrepoids à l’école Plato, fondée en 1909-10 et dirigée par la faction Royaliste. Socrates absorba Plato et finit par prendre le nom de « Socrates Anglo-Greek School Inc. » en 1932 (Bombas 1988). En retraçant l’histoire de Socrates, Leonidas Bombas souligne que cette école constitua un point de référence majeur pour la vie communautaire de la population grecque de Montréal, principalement pour ceux issus de la première vague migratoire et dans une moindre mesure pour les migrants de la période de l’après-guerre. Cependant, le caractère bilingue de cette école (grec-anglais), son modèle communautaire d’autogestion et d’autofinancement ainsi que certaines limitations par rapport à la population étudiante (surtout à l’encontre des enfants des nouveaux migrants grecs) ont été mis à l’épreuve durant les années 1960, étant donné l’impact significatif de la Révolution Tranquille dans le domaine de l’éducation (Bombas 1988). À la suite de débats collectifs au sein de la communauté, une demande de partenariat a été déposée au gouvernement québécois; ceci a graduellement abouti à la transformation de l’école à une institution trilingue qui était intégrée dans le système public québécois et où prévalait l’enseignement de la langue française. Le nom de l’école fut même francisé dans les années 1980 (de « Socrates Elementary School » à « École Primaire Socrates »). Ainsi, comme souligné par Bombas, la Révolution Tranquille a eu ses propres conséquences au sein de la communauté grecque, non pas sans réactions et ambigüités (Bombas 1988).

Nouvelles approches

La période mouvementée des années 1960-1970 constitue de fait encore aujourd’hui un champ de recherche particulièrement propice pour des approches historiques innovantes qui mettent en relief l’entrecroisement de mouvements parallèles tels que la Révolution Tranquille, la migration grecque de l’après-guerre ou même le mouvement démocratique contre la Dictature des Colonels en Grèce. Il semble que le cas des migrants Grecs au Québec et au Canada offre de tels cas de recherche, comme récemment démontré par les travaux de Noula Mina (2015) et Christofer Graphos (2016) sur l’activisme transnational des migrants grecs sur sol canadien.

D’un autre point de vue plus général, l’histoire de la migration grecque au Canada a récemment fait l’objet du projet de recherche interdisciplinaire et interuniversitaire IMMIGREC qui a abouti à la création du musée digital du même nom ; à travers une riche documentation et un environnement interactif, celui-ci offre à ses visiteurs un aperçu détaillé de l’expérience migratoire grecque au Canada et, entre autres, au Québec.

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Le site IMMIGREC

Dimitris Gkintidis | Grecehebdo.gr

À lire plus sur Grèce Hebdo :
 
À lire plus sur Greek News Agenda (en anglais):

D. G.

 

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