J’ai déchiré, mon ami, beaucoup de papier pour t’écrire
Ici Marseille m’a complètement tourné la tête,
et pourtant, croyez-moi, pas un instant, mon cher,
sans que dans mon vertige je ne pense à vous.
 
Je pensai à vous en me promenant sur le Boulevard des Dames
entre deux trotteuses qui faisaient les folles,
tandis qu’autour de nous et parlant fort passaient
des représentants de toutes les tribus sur la terre, semblait-il.
 
Ensuite de nouveau sur la Canebière pleine de monde,
au Vieux Port, dans la grisâtre rue Saint Honoré,
et encore, excusez-moi, je vous ai senti avec moi
dans les cabarets bruyants et remplis de gens.
 
Des marins nordiques se querellent avec des chauffeurs du Sud,
sur leurs genoux sont assises des professionnelles,
le piano joue tout seul et une petite siffle
un air faux d’une vieille mélodie.
 
Et plus tard quand je suis sorti ivre du Tartan
et croyais mon corps indigne et petit
je vous sentais très proche me souriant
de ce rire étrange, triste.
 
Et seulement quand sur la Corniche, dans une maison grise,
autour de juifs qui s’étaient habillés en femmes,
je vous ai perdu de vue un instant, il m’a semblé
que mon ange gardien avait désormais disparu.
 
Demain je pars et apporte à Athènes
des souvenirs étranges, nombreux, en masse
et un triste cadeau, fruit de Marseille,
que m’a offert une Pauline avant-hier aux Numéros…[1]
 
[Nikos Kavvadias, Marabout, 1933, éd. Kedros, 1988]
 
Traduction: Janine Kaminski (source)
Photo: Nikos Kavvadias (1910-1975) à Marseille, circa 1950. Source
 
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