Le musée byzantin et chrétien d’Athènes accueille entre le 25 novembre et le 19 décembre 2019 l’exposition « 40 ans depuis la signature du traité d’adhésion de la Grèce aux Communautés européennes » coorganisée par le Service des Archives Diplomatiques et Historiques du Ministère des Affaires Etrangères grec et la Fondation « Konstantinos G. Karamanlis ». Le matériel exposé comporte des documents écrits, des photographies et des matériaux audiovisuels d’une durée de 45 minutes qui retracent les rencontres et les pourparlers entre représentants nationaux et européens qui ont précédé la signature du traité le 28 mai 1979 ; celle-ci a eu lieu lors d’une cérémonie impressionnante au Zappeion à Athènes.

Vue générale de la cérémonie, par Jean-Louis Debaize (Source: EC – Service audiovisuel, Communautés européennes, 1979)

L’exposition est en grande partie dédiée à la figure emblématique de Konstantinos Karamanlis, tout en mettant en relief les enjeux particuliers des années 1970 qui ont accéléré l’adhésion de la Grèce au tissu européen. Force est de noter que cette même période coïncide avec la transition démocratique de la Grèce, ainsi que celle du Portugal et de l’Espagne. Cependant, la Grèce précédera les deux autres pays dans ce tour d’adhésion « méditerranéen » et ceci est souvent attribué, entre autres, aux efforts de K. Karamanlis et son investissement personnel dans le projet communautaire dès les années 1950. Les archives de la Fondation « Konstantinos G. Karamanlis », ainsi que celles du Ministère des Affaires Etrangères offrent des ressources importantes quant aux protagonistes et aux contours de l’Intégration européenne durant cette période (Minotos 2008, Tomai 2006).

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Discours de Konstantinos Karamanlis, en présence de Valéry Giscard d’Estaing, Jean François-Poncet, Pierre Bernard-Reymond, Luc de La Barre de Nanteuil et George Kontogeorgis (assis au 1e rang de droite à gauche), par Jean-Louis Debaize (Source: EC – Service audiovisuel, Communautés européennes, 1979)

Un contexte historique particulier

Comme souligné par Eirini Karamouzi, la signature du traité en 1979 signalait la culmination d’un long processus qui avait commencé vers la fin des années 1950 et le début des années 1960, quand la Grèce avait été le premier pays à être accordé le statut d’ « État associé » en 1961 (2017). Suivant la fin de la dictature militaire et la restauration de la démocratie parlementaire, le premier ministre Konstantinos Karamanlis avait posé la candidature d’adhésion de la Grèce en 1975, dans l’intention de solidifier sa position dans le cadre géopolitique occidental, ainsi que de consolider son système de gouvernance et d’économie de marché. Cette divergence par rapport au rattachement traditionnel aux États-Unis signalait un « multilatéralisme » qui aurait paru pratiquement difficile quelques années auparavant mais qui s’imposait de fait dans les années 1970, dû au ressentiment anti-USA et anti-OTAN de la majorité de la population grecque, exacerbé par la double invasion Turque en Chypre en 1974 et la dictature de 1967-1974 (Karamouzi 2017).

Force est de noter aussi que l’année 1979 signale l’expression d’un premier tournant majeur pour la politique d’Andréas Papandréou et de l’opposition social-démocrate du PASOK vis-à-vis la perspective européenne ; le PASOK, qui arrivera au pouvoir en octobre 1981, quelques mois après l’adhésion officielle de la Grèce aux Communautés le 1er janvier 1981, s’adaptera totalement à la norme communautaire à partir de la moitié des années 1980 (Nafpliotis 2018).

 Vidéo: Signature du traité d’adhésion de la Grèce à la CE (Source: Communautés européennes, 1979)

Il est opportun de noter aussi que, comme remarque Karamouzi (2017), l’adhésion de la Grèce dans les communautés en 1979 constituait un jalon majeur pour l’histoire de l’Intégration européenne ; premièrement, l’entrée de la Grèce, suivie par celle de l’Espagne et du Portugal, signalait un changement graduel des caractéristiques des membres de la CEE – au lieu d’économies de marché et de démocraties établies, il s’agissait d’États nouvellement démocratisés et relativement peu développés ; deuxièmement, ce tour d’adhésion « méditerranéenne » était largement conditionné par des calculations géopolitiques dans le contexte de la Guerre Froide, étant donné la situation politique volatile dans ces nouveaux pays récemment démocratisés et aux potentialités politiques multiples (Karamouzi 2017, voir aussi Klapsis 2014). En effet, cette période signalait la réduction des effectifs britanniques et une augmentation de la présence soviétique sur la méditerranée, parallèlement aux limites de la portée géopolitique américaine  (Karamouzi 2017).

L’émergence du raisonnement démocratique dans l’identité communautaire

D’un point de vue discursif, De Angelis et Karamouzi (2016) suggèrent que la conjoncture des années 1970, comme illustrée dans le cas de l’adhésion grecque, signale aussi l’introduction graduelle d’un raisonnement principalement politique dans la construction identitaire européenne, du moins par rapport aux fondements  principalement économiques du projet européen des années 1950. Le cas de la dictature grecque et la position ambivalente ou problématique de certains États européens puissants face à celle-ci a permis à la CEE d’émerger, tant bien que mal, en acteur discursif garant des droits démocratiques, à l’instar du Conseil de l’Europe. Le raisonnement politique (non-économique) et la rhétorique démocratique coïncideront aussi dans le cas grec avec l’imagerie et le symbolisme particulier du « berceau de la démocratie » (De Angelis et Karamouzi 2016, voir aussi Klapsis 2014, Minotos 2008). Le débat académique sur les motivations des dirigeants européens et grecs durant cette période continue, et aujourd’hui encore il semble que l’argumentation sur le raisonnement géopolitique de l’adhésion grecque l’emporte sur les considérations « économiques » à court terme (voir par exemple Klapsis 2014).

Dimitris Gkintidis | Grecehebdo.gr

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D. G.

 

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