L’histoire de l’Institut Français d’Athènes pendant l’occupation du pays par les forces de l’Axe (Allemagne, Italie et Bulgarie) nous permet de saisir les ambiguïtés politiques des institutions culturelles françaises de cette époque, nominalement liées au régime Vichyste, mais aussi les actes solidaires des membres de telles institutions envers la population et la résistance grecque (Milliex 1996, Flitouris 2005, Chèze 2014). En effet, le fonctionnement de l’Institut pendant cette période (et dans une moindre mesure, celui de l’École Française) cristallise les rapports conflictuels entre différents acteurs et positions politiques au sein de la société française (divisée entre collaboration et résistance), transposés en territoire grec.
Le positionnement des membres français de l’Institut contre l’occupation nazie est le plus souvent illustrée à travers l’action de deux philhellènes bien connus: le directeur de l’Institut Octave Merlier, et, après sa convocation forcée en France par Vichy en juillet 1941, le sous-directeur de l’Institut Roger Milliex. Tous les deux furent en faveur du mouvement de la Résistance et ont entretenu des relations avec l’EAM (Front de Libération National grec).
Néanmoins, il importe de signaler que ces cas sont aussi indicatifs du positionnement politique républicain et antinazi de la majorité des professeurs et membres de l’Institut et de l’École Française, à l’encontre d’autres officiels et réseaux français en Grèce. Comme souligne Mathilde Chèze (2014), malgré leur désir de rejoindre les forces de la France Libre au Moyen Orient, la majorité des professeurs français de l’Institut ont été conseillés de rester sur place et de contribuer à la “résistance morale” face aux occupants.
Le fonctionnement de l’Institut Français avant l’occupation nazie est caractérisée par ambiguïté et équilibres fragiles, étant donnée la position neutre du gouvernement fasciste grec de Ioannis Metaxas durant la guerre entre la France et l’Allemagne ou, par la suite, la position délicate des institutions françaises sous tutelle de Vichy durant la participation de la Grèce à la guerre contre les forces de l’Axe.
“Résistance morale” et actes solidaires
Dès le début de l’occupation de la Grèce par les forces allemandes et leurs alliés en avril 1941, les actions de l’Institut reflètent un souci de préserver la position dominante de la culture française et de l’Institut par rapport à d’autres initiatives étrangères (notamment allemandes et italiennes), mais aussi un vrai souci de participer, dans la mesure du possible, au soulagement du peuple grec face aux épreuves de l’Occupation.
Mis à part les activités éducatives et académiques qui n’ont pas cessé, telles sont aussi les initiatives à caractère pratique et immédiat (comme l’organisation de cantines pour les élèves) mais aussi au caractère plus ou moins implicitement politique, comme la circulation clandestine de copies du roman de Vercors Le Silence de la Mer, texte symbole de l’esprit résistant du peuple français, traduit en grec par Tatiana Milliex-Gritsi (Flitouris 2005, Chèze 2014).
Il est prudent de situer la contribution des membres de l’Institut dans cette dimension spécifique, en tenant compte de leurs limitations mais aussi du fait qu’elles s’inscrivent dans un mouvement historique large, dont la résistance organisée (armée et politique) du peuple grec et français furent en fin de compte le vecteur principal. C’est dans cette mesure qu’on peut apprécier le poids spécial de la résistance morale ou spirituelle, mais aussi la relation particulière qui s’est développée entre l’Institut et la population grecque.
Mis à part la position culturelle dominante qu’entretenait déjà l’Institut avant la guerre, la période de l’Occupation s’est avérée déterminante pour sa consécration symbolique parmi la population grecque. Ceci ne se réfère pas seulement aux actions de l’Institut et de ses membres, mais aussi, comme le note l’historien Heigen Fleischer, au fait que pour les Grecs eux mêmes, adhérer d’une manière ou d’une autre à la culture française relevait d’un acte de résistance contre les initiatives culturelles et politiques des occupants (Fleischer in Chèze 2014).
Une expérience commune
De même, tout au long de cette période, la résistance grecque face à l’occupation nazie a acquis un symbolisme particulier au sein de la population et des intellectuels français et, comme souligné par Mathilde Chèze, a permis aux français de saisir et d’admirer la dynamique de la Grèce moderne (2014). En effet, les populations françaises et grecques se sont trouvées dans une situation similaire.
Cette “expérience commune” (Chèze 2014), de l’occupation, de la résistance (et aussi de la collaboration) peut ainsi nous servir de guide pour saisir l’importance d’initiatives de l’ Institut dans l’après guerre, comme l’allocation de bourses d’études en France à des jeunes grecs en 1945 (la génération du “Mataroa“) ou “L’Exposition des oeuvres offertes par des artistes français en Hommage à la Grèce”, organisée à l’Institut par le couple Milliex en 1949 (Arnoux-Farnoux 2015, Fontaine 2012). Cette initiative symbolique particulière a souffert des contradictions de la Grèce d’après-guerre et, notamment, de l’hostilité des gouvernements grecs face à toute initiative qui pourrait mettre en question le silence imposé au sujet de la résistance antifasciste, largement gauchiste. De ce fait, les textes des intellectuels français qui étaient censés accompagner l’exposition des oeuvres d’art, n’ont été rendus publics qu’en 1979 et récemment publiés en grec.
Bien que la résistance culturelle ou spirituelle des membres de l’Institut ne constitue qu’un seul aspect de la Résistance en Grèce, elle demeure toutefois une leçon importante quant aux conditions complexes et les choix difficiles auxquels ont dû faire face des millions de Grecs et de Français durant l’Occupation.
Dimitris Gkintidis | GreceHebdo.gr