Dans la soirée du 13 novembre, Grècehebdo* a rencontré à Athènes  le journaliste franco-israélien Marius Schattner, qui s’est trouvé en  Grèce pour la conférence annuelle du Conseil International des Musées intitulée: «Les dimensions déontologiques et éthiques de l’archéologie» (11-14 novembre, Musée de l’Acropole). Marius Schattner est né à Nice en 1943. Spécialiste du Moyen Orient, auparavant  correspondant de l’AFP à Jérusalem (de 1981 à 2011) et de Libération,  il collabore actuellement avec Esprit et Le Monde diplomatique. Plus particulièrement, Marius Schattner porte son attention sur les limites d’une éthique archéologique dans des régions comme le Moyen-Orient où les recherches archéologiques ont souvent servi d’outil d’oppression. Il est l’auteur des livres: «Histoire de la Droite israélienne» (éd. Complexe), «Israël, l’autre conflit. Laïcs contre religieux» (André Versaille éditeur), co-auteur avec Frédérique Schillo «La guerre du Kippour n’aura pas lieu» (André Versaille éditeur) et «Sous tes pierres Jérusalem ou les ruses de l’archéologie» [à paraitre en octobre 2016 (éditions Plon, collection Terre humaine)]. 

Nous avons parlé de son intervention à la conférence et les problèmes concernant la recherche archéologique. La discussion ne s’est concentrée uniquement sur l’Israël et la Palestine mais elle s’est aussi dirigée sur la montée de l’extrême droite en Europe. Quelques heures après, on avait appris ce qui s’est passé en France pendant cette nuit. De son retour à Jérusalem, où il vit actuellement, Marius a eu la gentillesse de nous envoyer ses premières pensées à propos des attaques meurtières à Paris.

Au moment de la conférence, vous avez parlé de Jérusalem et du site de David qui est  géré par un groupe ultranationaliste juif, l’association Elad. Or le message d’Elad est clair «Le sous sol est déjà à nous. Vous n’êtes que de passage, sans passé, sans avenir.» Quels rapports peut-on établir entre l’archéologie et le nationalisme?

Oui, l’archéologie peut être un instrument du nationalisme. Mais, pas pour tout le monde. Pour les juifs religieux l’archéologie ne compte pas, ils ont la foi et cela leur suffit. Pourtant, force est de constater que l’archéologie n’a plus le rôle formateur du nationalisme, qu’elle avait il y a 40 ans. Aujourd’hui, il y a plus de critères scientifiques.Pour prendre l’exemple d’Elad, l’association dispose des fonds considérables et du plein appui du gouvernement israélien et finance les travaux des archéologues. De plus, elle installe des colons  juifs  au cœur de la population arabe dans l’intention de judaïser la vieille ville et le Bassin sacré. Certains archéologues israéliens adhèrent à cette vision.  Ils sont rares. L’archéologie israélienne est beaucoup moins « sioniste » qu’elle  l’était dans les premières années de l’Etat. Ils se veulent avant tout des professionnels et affirment agir pour le seul bien de la science en toute indépendance d’esprit. Il n’en empêche,  qu’ils n’ont en général  guère de scrupules à travailler sur un site géré par une association d’extrême droite, à participer à des conférences organisées par Elad ou publier dans des revues archéologiques où Elad imprime.

Votre intervention à la conférence commence ainsi: « Peut-on fouiller impunément? Tout tunnel antique doit-il être dégagé?  Tout vestige doit-il être déterré?  La quête du passé, justifie-t-elle, à Jérusalem comme ailleurs, le fait qu’ on bafoue les sentiments de toute une population au nom de la vérité historique, de l’impératif du savoir, en somme de la rationalité?» Une déontologie archéologique mondiale est-elle possible?

C’était la tentative de cette conférence mais je crois que c’est très difficile. En Israël-Palestine, les archéologues palestiniens-israéliens ne sont pas prêts à coopérer, également du côtépalestinien. Chez les palestiniens, ils sont tres sensibles, et à juste titre à l’instrumentalisation de l’archéologie israélienne. Ils considèrent l’archéologie israélienne comme coloniale et militante. Et en même temps, ils cherchent, ils ne savent pas encore, quelle archéologie palestinienne devraient mettre en place.

 

Et une dernière question sur la France. Comment expliquez-vous la montée du Front National?

Je ne sais pas très bien, j’ai quitté la France il y a des décennies et je n’ai que quelques hypothèses à faire. Tout d’abord, il y a une montée de l’extrême droite dans toute l’Europe et pas uniquement en France. Et Marine Lepen a eu l’intelligence de se détacher de son père: l’ultranationalisme, l’extrême droite en France était attaché à la  collaboration avec les nazis, c’est-à-dire Vichy.  Dans quelle mesure elle le fait réellement, je ne sais pas. Deuxièmement, il y a la crise économique et l’incapacité de la gauche de trouver des solutions, les mensonges de la gauche. La troisième chose, c’est la crainte mise en avant de l’immigration et en particulier de l’immigration issue des pays arabes. Mais je crois que c’est surtout l’incapacité de la gauche d’offrir une alternative. C’est le sens de désespoir, un sentiment que l’identité française est attaquée par une immigration musulmane. Je ne crois pas qu’il soit justifié, mais il existe. Il y a un sentiment de perte de l’identité française, la peur d’une attaque à la laïcité,  et c’est une question à laquelle la gauche n’a pas donné de vraies réponses.

Marius Schattner sur les attentats de Paris – En vrac

D’abord l’horreur, bien entendu et la surprise, non sur le fait qu’il y ait des attaques terroristes, c’était prévisible après  janvier dernier et après les raids français en Syrie et Irak.  Mais d’une telle ampleur et d’une telle cruauté! Pour moi ce sont des fachos,  sous les oripeaux de la religion (on a vu ça ailleurs). Un sentiment de déjà vu. Certes, les attentats en Israël  ont d’autres motivations quand bien même s’y mêlent chez les Palestiniens des motivations islamiques.De nos jours, ce sont avant tout des actes de désespoir, qui s’expliquent par l’absence totale de perspective, le sentiment d’être abandonnés par tous et en premier lieu par le monde arabe face à une occupation qui s’éternise et une colonisation que rien ne freine: autrement dit, face à une entreprise visant à en faire des étrangers dans leur pays. 

Il n’empêche que les réactions en France  me rappellent celles en Israël que ce soit lors des attentats suicides très meurtriers en 2001 ou ceux plus « spontanés » par couteaux actuels. Les mêmes mots : il s’agit «d’éradiquer»  de « neutraliser» (un terme si neutre) les terroristes. Les mêmes illusions sur l’efficacité ou la nécessité de «frappes» aériennes de moins en moins ciblées, le même silence sur les victimes «collatérales».

Ce qui ne veut pas dire, bien sur, qu’il ne faille pas combattre de toutes les forces Daech. Mais la répression ne suffit pas. Les racines du mal sont aussi bien en France (échec de l’intégration à la française) qu’en Syrie et en Irak. Il ya aussi cette «la maladie de l’islam» selon le titre du livre du regretté Abdelwahab Meddeb, comme mais d’une autre manière une «maladie du judaïsme» qui s’est développée en Israël.

Sentiment de désespoir: le terrorisme rend fou.  Il  joue sur la peur et la haine. Et ça marche.

 * Entretien accordé à Magdalini Varoucha 

 

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